Chapitre 10

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En suivant Nina à travers un ensemble complexes de couloirs labyrinthiques, j’ai commencé à réaliser qu’elle devait passer énormément de temps ici, pour réussir slalomer avec une telle aisance entre les bureaux, les piles de dossiers, les couloirs dérobés derrière des machines futuristes à l’utilité encore inconnue. Sophia semblait aussi déboussolée que moi, les lumières clignotantes des écrans et la ressemblance parfaite jusque dans les moindres détails, de tous ces couloirs, ne nous aidait pas non plus.

L’aile suivante fut très différente. Les salles au carrelage blanc aseptisé, cédaient leur place à une atmosphère plus chaleureuse et vivante. Comme lors de nos missions d’exploration, un pas suffit à transformer tout ce qui nous entoure, pour le meilleur et pour le pire surtout. C’était de ce côté que se trouvait le bureau de Maxwell. Avec Sophia, on se cacha derrière un coin, alors que Nina continuait d’avancer, jusqu’à entrer dans ce fameux bureau. Je me demande ce qu'il peut enfermer, une sorte de curiosité malsaine qui me pousse à vouloir découvrir les mystères enfouis dans l’antre de Maxwell, de savoir qui il est vraiment. 

Nous entendions à peine Nina, au travers des épais murs de pierres, lorsqu’elle s'adressa à Maxwell “Docteur, je sais que vous n’appréciez pas que l’on vous importune, mais l’équipe 6H qui travaille sur les observations à distance des mondes, ont à priori eu un souci au cours de l’une de leurs expérimentations.

- Un souci ? à priori ? Rien de très concret, leurs recherches sont prometteuses et leur capacité n’est plus à prouver, ils peuvent se débrouiller seuls.

- C’est que…”, Nina sembla hésiter, avant de reprendre, “ils ont reçu un stagiaire récemment, et il a voulu mettre en pratique des connaissances qu’il n’avait pas.”

Maxwell soupira, relativement fort d’ailleurs, j’aurais presque pu sentir son souffle à travers la pierre. Puis il consentit à la suivre en dehors de son bureau, nous laissant le champ libre. Je ne peux pas m’empêcher de me demander s’il va les aider parce qu’ils sont en difficulté, ou par crainte que ses collaborateurs ne détruisent son laboratoire. En tout cas, Nina a une sacré imagination.

"Prêt à découvrir les secrets cachés de Maxwell ?" murmura Sophia en souriant avant de passer la lourde porte en bois.

Je lui répondis d'un regard en emboitant ses pas. Une fois à l'intérieur, l'atmosphère était électrique, comme si chaque objet, chaque document était un condensateur prêt à exploser, nous envoyant à la figure une décharge de secrets venant des tréfonds des élucubrations de Maxwell. Le bureau était un mélange chaotique. Dossiers éparpillés. Schémas alambiqués. Machines étranges. Tel un musée de l'absurde. Là où le reste du laboratoire n’était qu’un dédale de couloirs froids, sophistiqués et organisés, son bureau était ancien, encombré et chaleureux. M’imaginer Maxwell dans cet environnement offrait un contraste déconcertant.

Mais nous n’avions pas le temps de nous appesantir sur le sujet, quel que soit le problème Maxwell le règlerait en une fraction de seconde. Et en encore moins de temps si celui-ci est imaginaire. En un accord silencieux, on commença à feuilleter les divers documents éparpillés un peu partout. Tandis que je fouillais le bureau à la recherche d'indices. Les tiroirs recélaient des notes cryptiques, des gadgets inconnus et même une perle rare, une boîte de bonbons périmés. Ah, les joies de la science. Rien n’indiquant l’appétence de Maxwell pour le sacrifice humain, ni aucune trace de folie excessive.

"William, regarde ça." Elle me tendit un dossier épais, qui était dissimulé dans un des recoins de la bibliothèque attenante. Il contenait des notes manuscrites de Maxwell, et décrivait une expérience singulière, une tentative de manipulation de la mémoire collective. C'était à la fois fascinant et effrayant, mais surtout une intrusion dans l'intimité de nos pensées. Et dire que Nina était réticente à fouiller son bureau. 

Parmi ces documents, il évoquait un troisième membre de notre équipe, sans jamais citer de nom. Aurait-il voulu inclure une autre personne à nos souvenirs, et vérifier son efficacité pendant notre réunion avec Nina ? Manifestement, ça n’a pas fonctionné.

Sophia ne semble pas partager mon avis : “Et si c’était l’inverse. Et si au lieu de nous créer de faux souvenirs, il nous les supprimait. Il ne parle que d’amnésie et oubli, partout”

En effet, dans ce dossier se trouvait une toile complexe de relations entre différentes personnes, le tout relié par les mots amnésie, oubli, absence. Ces personnes n'avaient pas vraiment de nom, juste des numéros et une date, sauf une. Ces mots étaient omniprésents sur chacune des pages, c’en était presque obsessionnel. Même sur mes rapports de mission. Quel intérêt autre que l’aliénation pourrait-il y avoir pour effacer des personnes de la mémoire de leur proche, et puis ce n’est pas cohérent. J’essayais alors d’extérioriser mes pensées : “Je ne serais pas surpris qu’il réussisse à mettre en pratique des effacements de mémoire d’une telle ampleur, mais ici, c’est différent. Ces exigences éthiques ne sont pas très élevées, mais tout de même, il est relié à un enfant sur le doc, le sien. Effacer l’existence de son propre fils dans les mémoires, c’est quand même autre chose que celle d’inconnus.”

Je ne sais plus quoi penser, ni espérer. A-t-on vraiment oublié l’existence de ce qui semblait être un ami, ou Maxwell délire et ne sait même plus qui il est au point de s’inventer une nouvelle vie ? Dans un cas comme dans l’autre, je crois qu’il peut être dangereux.

Sophia interrompis dans mes réflexions, consternée : "William, il essaie de contrôler nos souvenirs. Mais je ne sais pas. Peut-être qu’il cherche à cacher un autre crime encore plus horrible ? Peut-être que son fils a vraiment existé, et qu’il préférait que tout le monde l'oublie, pour ne pas qu’ils s'inquiètent de sa disparition, enfin tu vois ce que je veux dire." Cette idée la rendait malade, elle a toujours été très proche de sa famille.

Maxwell aurait tué son propre fils ? Ca expliquerait pourquoi un père supprimerait l’existence de son fils, mais pourquoi les autres alors ? Serait-ce devenu pour lui comme une drogue ? Ca concernerait n’importe qui d’autre, je trouverais cette idée complètement stupide, mais on parle de Maxwell.

Ces découvertes soulevaient une myriade de questions sans réponse. Et une quantité de craintes encore plus grande.

A présent, nous voulions juste sortir, quitter ces lieux damnés où vivait une abomination. On rangea tous les dossiers et notes qui avaient été déplacés. La dernière chose que nous souhaitions, c’était éveiller sa colère et dans une moindre mesure, ses soupçons.

Au moment de refermer un des tiroirs, mes yeux tombèrent sur une porte. Elle ressemblait trait pour trait à celles que nous traversions quotidiennement au cours de nos missions d’exploration à ceci près qu’elle était beaucoup plus petite, jamais un homme n’aurait pû la traverser. Et elle n’était pas fermée et était immobile. S’agissait-il de son premier prototype ? Il me semblait pourtant que le premier était celui qui avait dysfonctionné, menant au basculement Mais nous devions nous dépêcher, des bruits de pas résonnaient déjà dans le couloirs. On est sorti et une fois que Maxwell a claqué la porte dans un agacement certain, nous sommes partis sans demander notre reste. Il nous faudra un peu de temps pour digérer toutes ces nouvelles. Mais il faudra aussi en parler avec Nina la prochaine fois, elle a sûrement d’autres informations qu’elle ne nous a pas partagées. C’est une manie dans ce laboratoire d’avoir des secrets, et honnêtement  c’est pénible.

Toutes ces révélations étaient assez désordonnées, difficile d’être sûr d’en avoir tirer les bonnes conclusions. Il aurait été plus simple, bien qu’écoeurant, de trouver un rapport détaillant les objectifs et les résultats de ces expérimentations. Malheureusement, il n’était pas du genre à avoir de journal intime.

Je n’ai jamais eu confiance en Maxwell, en tant que personne. En tant que scientifique, je pense sincèrement que c’est l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur. Mais aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à le considérer comme une personne, et je ne sais pas comment notre collaboration va pouvoir évoluer sans cette confiance.

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