Chapitre 23

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Arthur est assis sur l'un des fauteuils, immobile, silencieux. Il semble si apathique. Mon coeur se serre de le voir ainsi. Lui qui restait souvent dans mon bureau à jouer pendant que son père était en rendez-vous, ou trop occupé. Au moins ici, il n'y a rien qui pourrait lui rappeler le traumatisme de sa disparition. C'est un endroit calme, dans lequel il se sent en sécurité, ou du moins, se sentait en sécurité. Même ce refuge semble impuissant face à sa détresse. Et puis, le bâtiment est sécurisé. Il a été construit afin de résister aux ondes sismiques, aux incendies, tout le matériel est surélevé en cas d'inondation, personne ne peut entrer avec les barrières qui empêchent les intrusions possibles de ces montres. Mais qu'adviendrait-il si une porte s'ouvrait dans l'enceinte même du bâtiment ? Toutes nos protection serait inutile, et pire, nous serions à leur merci, sans aucune échappatoire.

Que dois-je faire ? Je fais le tour de la pièce une bonne centaine de fois, mon compteur de pas doit s'affoler. Chaque seconde qui s'écoule est une torture, une pression insupportable. Je scrute frénétiquement les étagères, cherchant désespérément quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait me faire office d'arme. Chaque seconde compte. Je ne peux pas juste attendre qu'on vienne nous tuer. Malgré la peur qui me noue l'estomac, je me concentre sur une pensée : protéger Arthur à tout prix. Je me rappelle ces jeux aux règles farfelues, la joie sur son visage à la vue de son père, ce vide maintenant, et cela renforce ma détermination à trouver une issue. La décoration de mon bureau est assez sommaire, des dossiers bien classés sur les étagères, à côté de livres pouvant se montrer particulièrement assommants pour des personnes non averties, mais je ne crois pas que cela puisse suffire. Le reste, c'est juste de la figuration pour le rendre plus vivant, une frise chronologique des prix Nobel obtenus, assidûment complétée, du matériel de chimie de grande taille, afin de ne pas dépaysé des commerciaux lorsqu'ils sont invités ici, et qu'il reste dans l'imaginaire d'un labo scientifique. S'il ne voyait que des livres et des documents, ces derniers pensaient qu'on ne fait rien, mais la physique théorique est une discipline à l'opposé de la chimie, et les recherches dans ces domaines sont également différentes, et ne nécessitent pas le même matériel. Je décroche une pipette jaugée de 1L dont l'extrémité est brisée afin de m'en servir d'épée. Je ne sais pas si ça pourra nous protéger, ni combien de temps. Je sens déjà le poids de mon épée improvisée dans mes mains, mon pouls s'accélérant alors que l'adrénaline s'empare de chaque cellule de mon corps. Chaque inspiration résonne dans mes oreilles, faisant monter mon anxiété déjà insoutenable. Elle doit résister, juste quelques secondes peut-être. Ça doit tenir, jusqu'à ce que William et Sophia retrouve Maxwell, le persuade de créer un basculement inverse. Dans l'hypothèse où cette solution existe réellement. J'y crois, jamais Maxwell n'aurait laissé Arthur seul face à une mort certaine. Du moins, je l'espère.

Il n'a pas toujours été comme ça, aussi peu empathique, il n'a jamais été non plus un modèle de sociabilité, mais avec la disparition d'Arthur tout a empiré.

A l'époque où nous faisions chacun nos études, nous avions tous les deux pour directeur de thèse, celui de l'institut, celui-là même où nous travaillons encore. Nos recherches portaient sur des questionnements différents, mais complémentaires. Malgré ça, il était impossible de se voir autrement qu'en tant que concurrent, à cause du directeur qui avait promis un poste seulement à celui qui produirait la thèse qu'il jugerait meilleure. Pourtant au début, nous n'avions pas pris ces intentions aux sérieux, et nous gardions un esprit bon enfant. C'était assez agréable de pouvoir parler à une personne d'aussi passionné, et intéressé par un sujet qui me faisait tant vibrer. Mais assez rapidement, en voyant l'ambiance, l'attitude des uns envers les autres, les jeux de pouvoirs et les alliances fragiles, nous avons compris que pour avancer dans nos recherches, ou même pour se sécuriser un avenir, il était important de rester dans les petits papiers du directeur. L'ambiance de travail était déplorable, pas de conversation amicale, des coups bas pour savoir quelle filière recevrait des subventions. Et, nous aussi, avons été contaminés. Je regrette d'avoir mis à mal des semaines de travail, dans le seul but de ruiner quelques unes de ces expérimentations.

Malgré tout, nous avons pu continuer à travailler dans ce laboratoire tous les deux, sur les mêmes projets, alors nos relations se sont de nouveau améliorées. Mais l'atmosphère était toujours pesante, et lorsqu'il fallut nommer le nouveau directeur pour prendre sa suite, la situation ne s'arrangea pas vraiment. Je sais que Maxwell, n'a pas été réglo dans toute cette histoire, et a accepté de publier ses recherches sous le nom du directeur. Mes recherches n'étaient pas assez avancées pour que je puisse lui proposer ce genre de marché, et si ça avait été le cas, je ne sais pas si je l'aurais fait, il est déjà assez difficile de se faire une place en étant une femme dans la recherche scientifique, signer des articles permet aussi de gagner en crédibilité. On savait que lui proposer de l'argent n'aurait aucun effet, de toute façon, nous n'en avions pas assez. La seule chose qui importait vraiment aux yeux du directeur, c'était la reconnaissance de ses pairs, du moins ceux à l'extérieur de son laboratoire. Officiellement, c'était pour son travail et sa rigueur à toute épreuve, d'après les bruits de couloirs, c'était juste parce qu'il portait le même nom que le scientifique dont le nom du laboratoire rendait hommage, et que le directeur trouvait ça amusant. Même si je savais de quoi il retournait, après avoir été évincée sur d'autres bases que mes connaissances et mes capacités, j'en ai voulu à la Terre entière. Au directeur, de faire passer ses intérêts en premier, à Maxwell d'avoir vendu son intégrité, aux autres, d'avoir pensé que c'était normal, à ma famille, de ne pas avoir vu ce qui se passait, à moi, de n'avoir rien fait.

Après sa promotion, aussi étrange que ça puisse paraître, l'atmosphère a radicalement changé. Il n'y avait plus cette chasse à la complaisance du directeur, seulement à des résultats, mais avec une certaine forme de communication, et d'entraide. Maxwell a toujours été une personne froide et solitaire, il l'était relativement moins qu'après la disparition d'Arthur, mais tout de même. J'ai toujours eu du mal à comprendre comment Maxwell, la personne la moins à même de tisser des relations sociales, de tenir une conversation de plus de deux phrases et sans prendre son interlocuteur de haut, a pu instaurer de la communication au sein de son équipe. J'ai eu l'impression de pouvoir respirer à nouveau. On avait toujours autant de travail, voire plus, mais il n'y avait plus autant de pression, certains falsifiaient même leurs résultats avant l'arrivée de Maxwell : il avait besoin d'entrées d'argent pour travailler correctement, mais pour en avoir il fallait montrer le résultat de leur travail. J'ai eu la chance d'être dans un domaine qui intéressait le directeur, et de ne pas avoir de difficultés de ce côté-là.

Peu après, Maxwell m'a nommé vice-directeur, alors que l'ancien directeur insistait pour qu'il y place son fils. Il lui avait même donné de l'argent pour ça, qu'il a gardé pour investir dans de nouveaux instruments. Il l'a toujours ignoré, et le laboratoire, alors nommé CRM (Centre de Recherches Maxwell) gagnait en importance. Puis il y a eu la disparition d'Arthur.

Maxwell, je vous en prie, ne perdait pas la raison. Laissez-nous vous donner notre confiance.

DédaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant