Chapitre 8

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C'était un jour comme les autres dans mon bureau, empreint du silence feutré qui caractérise ces lieux. Assis derrière mon bureau, je scrutais les rapports qui, d'une manière ou d'une autre, semblaient s'entremêler dans une danse chaotique d'énigmes insondables.
Une affaire en particulier retenait mon attention : la mystérieuse absence qui entourait les équipes d'exploration numéro 97, 32,185 et 406. C'était des équipes pourtant prometteuses, et pleines de ressources. Des équipes qui ont disparu sans laisser la moindre empreinte dans la mémoire collective. Et dans l'ombre de l'oubli, elles semblent n'avoir jamais existé.
Lorsque la première équipe a disparu par cette porte au cours d’une simple mission d’exploration de routine, et que même le Docteur Galilei ne semblait pas s’en souvenir, j’ai pensé qu’il pourrait s’agir d’un évènement similaire à la disparition de mon fils. Mais pourquoi me souviendrais-je d’eux, alors que je n’ai aucun attachement particulier à ces personnes. Et j’ai envoyé une deuxième équipe. Le résultat fut identique.
D’après mes recherches, chaque monde ne peut accueillir qu’une certaine quantité de matière, il y a une limite. Donc, au bout d’un moment, une personne devrait pouvoir revenir et ne pas être engloutie, car la porte aurait été rassasiée. J’ai envoyé autant d'équipes que nécessaire, jusqu’à ce que cet événement arrive. Le Docteur Galilei a appelé tour à tour chacune de ces équipes pour leur demander de se rendre à cette porte, et elle n’en a aucun souvenir, c’est peut-être mieux pour elle, elle a la conscience trop fragile.
Toutes les équipes sont numérotées, et composées de trois personnes, afin de ne pas surcharger les mondes principalement. Cependant certains numéros sont désormais manquants, et certaines équipes sont composées de deux personnes seulement, sans que personne n’y voit aucune incohérence. Comme si les souvenirs étaient au-dessus de la logique. Des souvenirs factices. Je me retrouvais face à un phénomène étrange, un voile d'amnésie collective étouffant toute trace de leur existence.
Pensif, je feuilletais le rapport de la 214. Ils n‘avaient aucun souvenir, ni trace de la disparition du troisième membre, dont je ne connais pas le nom, mais je sais qu’ils étaient proches. Je pensais que leur lien leur permettrait de se souvenir, mais ce n’est apparemment pas le cas. Si le lien n’était pas suffisant, assister à l’anéantissement de l’existence d’une personne non plus. Ils l’ont vu disparaître, il n’est pas possible autrement, et ils ne s’en rappelle pas. Pourquoi mes souvenirs ne sont pas affectés ? Un autre détail attire mon attention. Le rédacteur souligne un sentiment de mélancolie au moment de quitter les lieux, et ne se l’explique pas vraiment. Cela signifierait-il qu’au moment de partir ils se souvenaient encore ? Ont-ils fini par oublié à mesure qu’ils s’éloignaient ou d’un seul coup, en traversant la porte ? Quand ce sentiment de tristesse les a-t-il quittés ? Ces questions pourraient être cruciales, ils sont à ma connaissance les seuls témoins d’une disparition. Et sans vouloir me vanter, elle est plutôt bien développée.
Mon esprit se plongea instinctivement dans les souvenirs douloureux de la disparition de mon fils, faisant rejaillir en moi chacun de ces éclats de rire innocent. Si seulement je pouvais comprendre, trouver une logique dans ce chaos, peut-être pourrais-je percer le mystère de ces amnésies collectives. Des questions tournoyaient dans ma tête comme des éclats de lumière égarés dans les ténèbres. Les mystères entourant ces portes m'obsédaient. Comment se fait-il que des portes puissent effacer une existence de la mémoire collective ? Quand ils passent une porte, avant qu’ils reviennent, ils existent encore, mais cette porte est différente. Est-ce une faille dans la nature même, ou bien une machination délibérée ? Quelle force mystérieuse dictait ces règles insaisissables ? Pourquoi moi je me souviens ? Je ne suis pas au-dessus de la physique, c’est la physique elle-même qui le dit.
Dans le dédale de mes incertitudes, le silence de mon bureau résonnait comme un écho des mystères qui se déployaient devant moi, une invitation à plonger plus profondément dans l'énigme de l'oubli.

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