Chapitre 11

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Depuis hier, mes pensées sont comme captives d’une toile d’incertitudes tissée par Maxwell. Chacune de mes émotions y semble enchevêtrée, créant un tumulte que je peine à démêler. Lorsque je suis rentré, j’ai fixé le plafond et je n’ai pas bougé. Seule la chaleur du soleil se levant sur mon visage figé, m’a fait émerger de cette apathie. Je ne sais plus quoi penser et même pire que cela, je ne sais plus quoi ressentir. Ai-je vraiment perdu un ami ? Et je me sens sale de ne pas éprouvé la moindre once de tristesse. Est-ce seulement vrai ?
Nous nous sommes retrouvés ce matin avec Sophia devant la porte que nous étions censé explorer, mais c’était avant d’avoir fouillé son bureau., A voire les cernes qui s’étaient installées confortablement sous ses yeux, Sophia n’avait pas dû beaucoup dormir, elle non plus.
"Une mission de plus, n'est-ce pas?" dis-je, mon ton mêlé d'une pointe d'amertume.
Sophia acquiesça, mais son sourire semblait moins assuré qu'auparavant. "Cette fois-ci, ça ne peut pas être comme les autres. On ne peut plus faire semblant que tout va bien."
Les portes, sentinelles silencieuses vers l'inconnu, semblaient attendre notre décision. Entre nous, un silence pesant s'instaura, notre échange muet évoquant des centaines de missions passées sans jamais aborder ce sujet.
"Est-ce que ça vaut la peine de continuer avec Maxwell?" demandai-je, le poids des récentes découvertes imprégnant chaque mot.
Sophia fixa la ville à moitié détruite, ses yeux reflétant un mélange d'inquiétude et de détermination. "On ne peut pas simplement ignorer ce que nous avons découvert. Si on continue avec lui, est-ce qu'on ne devient pas complices de ses manipulations ? Mais d’un autre côté j’ai besoin de cet argent, que ce soit par mon salaire ou l’assurance décès dans le pire des cas."
L'incertitude flottait dans l'air, chaque instant devenant plus pesant que le précédent. Je savais déjà que sa famille était en grande difficulté et qu’elle s’était engagée en tant qu’exploratrice seulement pour la promesse du salaire élevé. Et il est encore plus exorbitant qu'escompté, mais les dangers aussi. C'était un choix entre une sécurité immédiate et la recherche d’une vérité qui n’en valait peut-être pas la peine. Et la perspective de laisser Sophia seule avec Maxwell me répugnait. Depuis nos débuts en tant qu'explorateurs, nous avons toujours été des alliés indéfectibles. Je lui fais totalement confiance et je sais que c’est réciproque.
La porte, celle que nous allions franchir se dressait devant nous, son silence assourdissant semblait crier que nous faisions les mauvais choix. Mais nous n’en avions pas d'autres. Le meilleur moyen d’empêcher Maxwell de nous tuer, c’est de le faire avant. Pas au sens littéral, je refuse d’être comme lui. Il faudrait juste l’empêcher de continuer ses recherches immorales. Et si ça ne fonctionne pas, alors on pourra toujours revoir notre plan à ce moment-là. 
Je me suis senti tombé, comme si rien ne pouvait empêcher ma chute, sans aucune prise sur ce qui m’entourait. Un sentiment de noyade dans le désespoir, il m’a fallu un peu de temps avant de comprendre qu’il fallait que je me dépêche de déployer mon parachute. Au départ, certains ont fait des chutes mortelles, on ne pensait pas que les portes pouvaient être si imprévisibles. On voyait des portes à des hauteurs faramineuses et on pensait que de l’autre côté, on trouverait la terre ferme à la bonne hauteur. Je ne dirais pas que nous étions stupides, juste complètement optimistes. Désormais chaque explorateur est équipé d’un parachute, d’un grappin d’armes défensives principalement, et d’une petite bouteille au cas-où la porte se trouverait immergée mais c’est étonnement extrêmement rare. Et la bouteille est si petite, que lorsque ça arrive, un seul explorateur revient après avoir utilisé les bouteilles de ses camarades. C’est le cas de figure qui m’effraie le plus. Heureusement il ne s’est jamais présenté à nous. Nous avons donc ouvert nos parachutes avant d'atterrir avec douceur sur le sol humide.
Le monde qui s’ouvrit ensuite devant nous était paisible et calme, mais la tempête de mes émotions le rendait infernal. Je voyais bien que Sophia était dans le même état d’esprit. D’habitude, j’essaie toujours d’avoir les mots pour rire, surtout lorsque les situations deviennent périlleuses, et Sophia mime la joie pour y répondre. Mais aujourd’hui nous n’avons même plus la force de faire semblant.
Après avoir arpenté pendant plus d’une heure cet espace, alors que nous pensions avoir découvert chacuns des détails de l’écorce des trois malheureux arbres qui se battaient en duel, le ciel commença à se couvrir et quelques gouttes tombèrent à un rythme régulier. J’aperçut alors une lueur. une lumière qui scintillait désormais dans l'ombre des nuages. Avec le soleil qui brillait, ni Sophia, ni moi ne l’avions vu avant. Nous nous sommes donc approchés prudemment de cette étrange clarté.
“Une autre porte ?” murmura Sophia, intriguée
Cette porte ne devrait pas être là. D’habitude, il n’y a qu’une seule porte, celle par laquelle nous entrons. Que fait-elle là ? 
De nous deux, Sophia a toujours été la plus casse-cou, aussi elle s’empressa de vouloir la visiter. Mais en tant que prudent, je ne partageais pas vraiment son avis.
“William, dis-moi, quelle est la différence entre traverser une porte dont tu n’a aucune information sur ce qui se cache derrière et une porte dont tu n’a aucune information sur ce qui se cache derrière ? Bah c’est pareil ! Il n’y a pas de différence entre cette porte et les autres qu’on traverse jour après jour. On doit entrer.
- C’est anormal, elle ne devrait pas être là tu comprends.
- Plus rien n’est normal, et depuis un sacré bout de temps, si tu veux mon avis.”
J’aurais voulu lui répliquer que ça pouvait être dangereux, mais elle m’aurait sûrement dit que c’était le cas de toutes nos missions. Alors je me suis contenté de lever les yeux aux ciel en signe d’abdication. Elle est encore plus têtue que moi, j’ai aucune chance, et après tout, ça ne peut pas être pire, non ?
On s’en approcha lentement en restant sur nos gardes, par prudence. Nous avions replié nos parachutes avant de commencer la fouille et les bouteilles étaient à portée de main. Quatre pas nous séparent de la traversée. Les battements de mon cœur résonnent dans ma poitrine. Plus que trois. J’appréhende cette porte, comme toutes les autres d’ailleurs. Deux. Allez, respire, ça va bien se passer. Un. J’ai peur. Zéro. Je me prends un mur.
Quoi ? Cette porte ne nous laisse pas passer ? Je regardais Sophia, tout aussi incrédule.
“C’est quoi cette histoire ?” demanda-t-elle.
Je ne pouvais pas lui répondre. Alors on réessaya, plusieurs fois, chaque tentative se soldant par un échec. La frustration s'insinuait dans nos esprits, accompagnée de la certitude que quelque chose d'essentiel nous échappait.
Cette porte est blanche, ce qui veut dire qu’elle n’est pas fermée, sinon, elle serait rosé. Il existe donc des portes que l’on ne peut pas franchir, alors qu’elles ne sont pas fermées. Ca va à l’encontre de ce qu’on nous a toujours enseigné, et aussi des différentes constatations qu’on a déjà pu faire depuis le début de nos explorations. Je ne sais pas si Maxwell est au courant de ce genre de phénomènes et qu’il nous le cache délibérément. Est-ce lui qui a mis cette porte ici. Plus j’y réfléchis et plus je trouve que quelque chose cloche.
“Elle ne bouge pas, murmurais-je
- Pardon ?
- La porte ne bouge pas du tout, toutes les autres se déplacent comme si elles étaient portées par des vents que nous ne pouvons pas ressentir. Elles ne vont pas forcément très vite, mais celle-là est parfaitement immobile.”
Intriguée Sophia fixa la porte, puis traça une marque au sol et attendit. Longtemps. Il ne se passa rien. Absolument rien.
Une porte fermée d’apparence ouverte, une porte immobile, ressemblant à celles qui sont en mouvement. Que se passe-t-il ? Je n’ai qu’une hâte : en parler à Nina, peut-être aura-t-elle des réponses à nos interrogations. Et Maxwell alors ? De quoi doit-on lui parler et surtout, pouvons-nous lui cacher des choses ? Je n’ai plus envie d’avoir aucun contact avec lui, ça me donne la nausée.
Mes yeux se fixèrent sur cette porte, étrangement immobile, comme si elle était figée dans le temps. Il y a une autre porte qui ne bougeait pas, enfin il me semble, je n’en suis plus très sûr. Peut-être est-ce juste mon esprit qui cherche des liens entre tous ces éléments ? Des souvenirs indistincts chatouillaient les recoins de ma mémoire. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale. C’était dans le bureau de Maxwell. Est-ce pour cette raison qu’il se permet de garder une porte dans son bureau sans crainte, parce qu'elle est fermée et que rien ne peut en sortir ? Ca serait logique, alors dans ce cas peut-être Maxwell est-il au courant de celle qui se trouve ici ?
Tout ce que je sais de cette porte c’est qu’elle semble avoir le même schéma de construction que toutes les autres. Elle est en tout point identique.
Devant nous se dressait une porte étrange, une clé potentielle pour démêler les fils de nos questions, et nous ne pouvions rien en faire. Je déteste me sentir si impuissant, j’ai l’impression de ne servir à rien et de n’être qu’un vulgaire pion sur un jeu d'échecs avec un adversaire qui triche pour gagner à tous les coups.
Nous avons fait demi-tour, planté nos grappins dans l’encadrement de la porte avant de grimper à la corde pour sortir d’ici. Je crois que je rageais encore lorsque nous sommes sorti, ce qui m’a valu une réflexion de la part de Sophia : 
“ Arrête de bouder, le vilain petit canard”
Je ne pus m’empêcher de sourire. Avec Sophia, nous ne nous sommes jamais quittés, et pourtant, elle m’avait manqué.

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