Chapitre 5 - 1

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William

Je m’éloigne du centre-ville, parcourant le chemin qui nous sépare à pied, une boîte de biscuit sous le bras. Je dois avoir l’air d’un idiot, un idiot sympathique mais tout de même. Cette boîte est beaucoup trop grosse. Arrivé devant la porte de  l’appartement, je toque. Pas de réponse. À cette heure-ci, personne ne doit encore être rentré. Super, plus qu’à faire demi-tour. Pourtant, à travers la porte close, j’entends du bruit provenant de l’intérieur. NOus ne partageons définitivement pas les mêmes goûts musicaux, je décide donc d’essayer d’entrer. Je sais qu’entrer par effraction chez quelqu’un, n’est pas quelque chose de recommandé, mais c’est un cas d’extrême urgence, les biscuits n’attendent pas. 

L’appartement est assez grand, mais quand on sait le nombre de personnes qui y vivent, l’atmosphère y devient tout de suite plus étouffante. Ils vivent là, entassés les uns sur les autres, mais ils n’ont pas vraiment d’autres choix. Déjà avant le basculement, la situation était difficile, mais après, avec la crise du logement qui s’en est suivi, ils s’y sont tous regroupés. J’ai bien proposé de les aider en leur proposant de venir chez moi, mais ils ont toujours refusé. Un peu par fierté je suppose, mais surtout pour l’esprit de famille. Comment leur en vouloir de ne plus vouloir se séparer, de vouloir veiller les uns sur les autres par les temps qui courent.

Je suis déjà venu plusieurs fois ici, mais c’est la première fois que j’entre sans qu’on m’y invite. Promis. Je traverse donc le salon pour me rendre dans une des chambres. La porte est grande ouverte, il ne lui faut pas longtemps pour se rendre compte de ma présence.

“Qu’est-ce que tu fiche ici ?” Sophia me harangua avec son franc parler habituel. Ça fait plaisir de la voir ainsi.

“Je suis venu d’apporter des gâteaux, et voir si ta jambe allait mieux”

Elle souffla. “Qu’est-ce que je vais faire de tout ça, hein ? Alexandre vient également de passer avec un des gâteaux de sa mère. Qu’est-ce que vous voulez vraiment tous les deux ? Me tuer par une overdose de sucre ?“

Nous rions, les missions sont toujours difficiles, et pas seulement physiquement, émotionnellement aussi. Voyager dans des endroits qui n’existent même pas, c’est assez troublant. Alors les moments comme celui-là, donnent du baume au cœur. 

Je regarde autour de moi dans l’espoir de trouver une chaise, avant d’apercevoir celle du bureau avec une pile de cahiers sur l’assise. Ses petites sœurs doivent toujours être à l’école, et elles ont dû oublier quelques-unes de leurs affaires ici.

“Oh, ne fais pas attention, pose ça par terre, elle ne se rendra probablement pas compte.”

Sur le bureau et les étagères qui le surplombent, on peut voir une quantité monstrueuse de trophées sportifs qui prennent selon moi trop de place, son diplôme obtenu avec mention accroché au mur, cette pièce est tellement vivante.

“Bon, tu les a amenés, alors autant les manger, qu’en dis-tu ?”

“Je ne vais certainement pas me priver, c’est les meilleurs que j’ai trouvé.” Nous avons continué à parler pendant un bout de temps de tout et rien, alors que je me moquais de sa tendance à donner tant de souvenirs et d’attachement aux objets.

Comme cette photo de classe, où elle a l’air d’une furie en colère avec sa moue boudeuse, ses cheveux en bataille, à cause d’une dispute avec une de ses camarades.

“Tu ne comprends pas bien, je crois, c’était l’une de mes meilleures amies, et on s’est pris le chou à cause d’une autre personne qu’on appréciait même pas en plus. De toute façon c’était pas de ma faute, elle n’avait pas à critiquer sans raison.” C’est dans des moments comme ça où je suis heureux d’être plus du genre solitaire, j’ai pas à me disputer pour des broutilles.

“Et comment ça s’est terminé cette histoire ? Vous vous êtes battu dans un combat sans règle, dans des effusions de sang ?” la taquinais-je.

“N’importe quoi, j’ai juste répliqué, et après on s’est ignoré pendant quelques temps. Mais tu vois le point positif avec la rancune ? C’est qu’au moins, je me souviens très bien de la raison pour laquelle je n'apprécie pas les gens, et ce qui m’a poussé à m’éloigner d’eux.”

“Alors je vais éviter de te mettre en colère, ça vaudra mieux pour ma propre sécurité.”

Le temps continue de passer, et la boîte de se vider.

“Tu ne m’as toujours pas dit comment allait ta jambe.” 

“Ça va, vraiment je te jure,” je me demande ce qui l’a laissé supposer que j’avais du mal à la croire, “c’est surtout les frottements, la peau est à vif, mais ça reste assez superficiel, c’est plus impressionnant qu’autre chose.” 

Elle s'interrompt quelques instants guettant ma réaction avant de reprendre : “De toute façon, je ne peux pas vraiment me permettre de faire une pause, même courte, il n’y a pas vraiment d’autre boulot qui rapporte autant dans le coin, même avec mon diplôme, je n’ai pas de telles perspectives.”

Nous n’avons pas vécu les mêmes choses, et j’ai dû mal à concevoir ce genre de difficultés, et encore moins comment je pourrais l’aider.

“Le labo ne prévoit pas d' aides en cas d’incident de ce genre ?”

“Si bien sûr, mais il ne s’agirait que d’un revenu ponctuel, pas de quoi subvenir à tout le monde pendant bien longtemps. Et puis, j’ai fait les calculs, ce n’est même pas rentable de mourir, même avec le prime décès, il y aurait trop de frais à engager, et nous ne les avons pas. Alors on va faire comme si tout allait parfaitement bien, et finir cette foutu boîte de biscuits beaucoup trop bon”

Ça me va, j’adore manger.

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