Chapitre 20 : Plus bas que la poussière

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Au beau milieu de l'été, un rapport apparut sur le cyber-net. Il était simplement dénommé « Révélations sur la SI ». En quelques jours, le site fut l'un des plus visités de toute la Zone. Il est difficile d'estimer le nombre de visites car il fut supprimé de nombreuses fois. Pourtant, il réapparaissait toujours, défiant la censure, éclipsant presque l'annonce des gagnants de la mission de colonisation de Vénus.

Il dévoilait entre autres la présence d'un camp de travail sur la Lune, des injections qui retardent l'âge réservées aux privilégiés, des nanotechnologies qui soignent les cellules abimées jalousement gardées par l'élite, en provenance des usines de la SI. En théorie, tout cela était strictement interdit par les législations de la Zone.

Le rapport fit un tel bruit que le président Vangelis fit une allocution niant les faits et les accusant d'être de fausses rumeurs de complot créées par des terroristes et des opposants au système.

Quelques citoyens se rassemblèrent pour manifester et demandèrent naïvement la démission du président Vangelis. La méga corporation resta sourde aux cris du peuple.

Assis par terre, le visage caché entre ses mains, Timber se remémorait ces évènements. Il avait trouvé refuge dans une cabane un peu à l'écart du bidonville qui se dressait au milieu de la décharge dAscian. Des rayons de lumière blanche filtraient à travers les lattes du plafond de l'abri de fortune et zébraient la petite silhouette recroquevillée sur elle-même.

Devant lui, un écran luisait faiblement dans l'obscurité de la cabane. Sa figure sale se reflétait dans le miroir digital.

Soudain, le jeune homme releva la tête. Ses cheveux châtains, plus longs que jamais, couverts de crasse, pendaient autour de son visage.

‒ Alors c'est ça qu'elle a découvert, murmura-t-il. C'est ça que l'amie de Loxias a trouvé alors qu'elle travaillait pour le gouvernement...

Une ombre se glissa dans l'antre. Serpentant entre les caisses d'objets de récupération, elle courut sur les murs de l'abri et se faufila derrière Timber. Soudain, elle surgit devant lui.

‒ Alors comment va mon traître préféré ? demanda l'illusion d'un ton caressant en prenant le visage d'Acheron.

‒ Va-t'en ! s'écria Timber.

‒ Voyons, tu sais bien que je ne peux pas te quitter, je suis ton seul compagnon ! plaida la chimère. Que ferais-tu sans moi pour hanter tes pensées ?

‒ C'est de sa faute ! cria le jeune homme.

Il marqua une pause. Ses yeux fous bougeaient dans tous les sens, suivant des formes invisibles.

‒ C'est... cette fille ! Cette Odessa ! A cause d'elle, nous avons rejoint la Brigade !

‒ Si je peux te donner un conseil d'ami, tu devrais cesser de t'inclure dans les nightbreed. Tu ne fais plus partie d'eux à présent. Tu les as trahis.

L'ombre arborait à présent le visage innocent de Nesh.

‒ Tais-toi, tais-toi ! s'égosilla le jeune homme. Cette... sorcière... Elle a influencé Loxias à prendre des décisions infondées ! C'est à cause d'elle que tu es mort !

Silena apparut devant lui, le jugeant en silence.

‒ Traître ! cracha-t-elle.

‒ C'est aussi à cause de ces terroristes ! reprit-il, cherchant à se justifier. J'ai juste fait ce qu'il fallait ! J'avais conclu un marché avec le gouvernement !

‒ Tu as causé la mort de Lychnis, fit l'ombre en prenant son apparence.

‒ Non ! Tu es encore en vie ! Et je te sauverais !

‒ Tu sais bien que c'est impossible, tu n'es plus rien, martela Lychnis.

‒ Tu as toujours été comme ça, marmonna-t-il. Et pourtant je ne te laisserais pas crever comme un chien !

Quand Timber fit face à l'ombre, fou de rage, cette dernière ressemblait en tout point au chef des nightbreed.

‒ Loxias, Loxias ! Pardonne-moi, je t'en supplie ! hurla-t-il en se jetant à ses pieds. Ce n'est pas... ce que je voulais... J'aurais aimé que tu ne me fasses jamais confiance. Ça aurait rendu les choses plus faciles !

Il se tordit les mains, au bord du désespoir.

‒ Depuis que nous nous sommes rencontrés, je savais que je finirais par te blesser, pleurnicha-t-il.

‒ Il ne te pardonnera jamais. Jamais, tu entends ?! Traître !

La silhouette qui se tenait face à lui arborait les traits d'Odessa, quoique plus grossiers. La vision de Timber se brouilla. Il planta ses ongles sales dans sa peau et se griffa le visage, avant de se jeter sur la jeune femme, qui s'évanouit dans les airs.

‒ Sorcière ! s'époumona-t-il. Je te tuerais ! Je te tuerais de mes propres mains ! A cause de toi, je suis tombé plus bas que la poussière !

Derrière lui, le soleil reflétait un rayon sur les restes d'une fiole de verre brisée.

***

Une femme mince et blonde s'avançait dans les rues obscures du Niveau 0 d'Ascian. Ses talons résonnaient sur le pavé. Son ruban doré flottait dans le vent chaud du soir. Elle portait un fusil-requin en bandoulière.

Les misérables qui se terraient dans les ruelles reculèrent en l'apercevant, un mélange de crainte et d'envie sur le visage. Les enfants errants cessèrent de mendier, se regroupant silencieusement en petites bandes. Dans les recoins les plus sombres, les brigands et les égorgeurs serrèrent leurs armes dans leurs poings, mais ne firent pas un geste.

Soudain, elle s'arrêta devant une place où un grand bâtiment délabré arborait une gigantesque main rouge sur sa façade. Une unité de la Milice étaient en train de recouvrir le symbole avec l'emblème de la méga corporation. Ensuite, elle ordonna qu'on hisse une bannière aux couleurs de la SI sur un porte-étendard.

Puis, elle fit demi-tour, et sans hésiter, elle ouvrit la porte d'une taverne qui se trouvait sur sa route, et pénétra à l'intérieur. Ses soldats la suivirent.

‒ Bien le bonjour, dit-elle d'une voix suave en s'approchant du tenancier de l'établissement.

Les clients de la gargote s'agitèrent et se mirent à chuchoter furieusement à l'arrivée des militaires. Certains gesticulaient nerveusement sur leurs chaises. La femme à la tête de l'escadron jeta un sac sur le comptoir. Mal à laise, le propriétaire l'ouvrit. Il y avait à l'intérieur plusieurs boîtiers d'hologrammes. Il en alluma un, affichant les portraits-robots de criminels recherchés.

‒ Voici des avis de recherches de terroristes qui se cachent dans la basse-ville, déclara-t-elle. Il y a une récompense à la clé pour tout signalement. Nous venons également procéder à une perquisition afin de vérifier que vous ne dissimulez pas ces malfrats quelque part.

Elle fit un geste à ses soldats, puis sortit de l'établissement. Partout dans la basse-ville aussi bien que dans les moindres quartiers de Neo Paris, la Milice disposait des hologrammes à l'effigie des soi-disant révolutionnaires. Une somme alléchante s'affichait en lettres clignotantes en dessous de leurs visages.

La femme, sans un regard en arrière, monta dans son vaisseau de commandement. Elle se tint droite comme un pic derrière le pilote jusquà ce que le cargo atteigne sa destination, au Niveau 9 de la basse-ville. Il atterrit sur le perron d'un bistrot, faisant fuir les passants.

‒ Arrêtez-moi tous ceux qui se trouvent à lintérieur de cette guinguette, et tuez ceux qui résistent, ordonna-t-elle en passant en revue ses troupes. Exécution !

Ils se ruèrent à l'extérieur, armes en main. La femme resta en arrière, regardant l'enseigne illuminée qui se balançait doucement au gré du vent.

On pouvait y lire « Red Moon Pub ».

Le brasier des étoiles [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant