Chapitre 21 : Un visage miroir

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Odessa se glissa dans le gratte-ciel par la porte des employés. Elle scanna son poignet où se trouvait une puce électronique pour l'ouvrir. Tandis que la porte coulissait lentement, son regard se perdit dans le vide.

Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas revenue au quartier général de la méga corporation. Il y a presque deux ans, la jeune femme l'avait quittée sans un regard en arrière. Au fond d'elle, elle devait savoir qu'elle y reviendrait un jour, car si elle avait fait remplacer sa puce de communication, elle avait gardé celle qui lui donnait accès à la tour.

La voleuse prit une grande inspiration et pénétra dans le bâtiment. Son capuchon noir dissimulait son visage, mais elle prit garde à ce que personne ne l'aperçoive. Soulevant un pan de sa robe rouge qu'elle avait spécialement revêtu pour la mission, Odessa se mit à courir.

Soudain, elle vit deux femmes vêtues de tenues d'employés marcher dans sa direction, bavardant et riant. Elle se cacha dans un renfoncement du mur en retenant son souffle. Heureusement, ces dernières ne l'aperçurent pas.

Elle reprit sa course effrénée, grimpant les marches d'un escalier et se fondant dans les ombres comme on le lui avait appris.

Scrutant un couloir, elle attendit que la voie fût libre. Quand plus personne ne se trouvait dans le corridor, Odessa appuya sur le bouton de l'ascenseur.

Les portes s'ouvrirent. Un homme surgit d'un angle, et y entra en même temps qu'elle. La voleuse tâcha de garder un visage impassible. Elle devait passer inaperçue.

A l'étage suivant, l'homme sortit. La jeune femme laissa échapper un soupir de soulagement.

Elle parvint dans une antichambre, et la traversa. Une porte blindée se dressait devant elle, sans doute installée après linfiltration de Myosotis. Le bureau du président était la salle de contrôle de tout l'empire Vangelis. Ici, il pouvait contrôler toutes les activités et transactions qui se déroulaient au sein de la méga corporation Singularity Industries. Aujourd'hui, elle était certaine qu'il n'y était pas, car il était en voyage d'affaires en dehors de la Zone.

Deux gardes étaient postés sur le seuil. Odessa s'avança vers eux d'une démarche gracieuse, faisant rouler ses hanches. Elle lâcha le tissu de sa robe qui vint former comme une traîne de feu derrière elle.

‒ Vous me laisserez bien passer, messieurs ? demanda-t-elle d'un ton caressant. Ma maîtresse m'envoie.

L'un d'entre eux esquissa un rictus et effleura sa joue. Elle se raidit légèrement, mais son sourire charmeur ne vacilla pas. L'autre semblait sur le qui-vive.

Brusquement, la voleuse sortit un taser miniature de sa poche et envoya un choc électrique au garde. Le deuxième homme écarquilla les yeux, mais avant qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit, elle le neutralisa aussi. Ensuite, elle déverrouilla la porte de sécurité avec sa puce. Puis, elle tira le corps des gardes à l'intérieur.

Se précipitant au centre de la pièce, elle se dirigea vers un écran et l'alluma. La jeune femme outrepassa la sécurité et fit défiler plusieurs pages, puis cliqua sur la partie destinée à la prison Blue Mountain. Elle consulta plusieurs rapports. Le directeur de la prison avait correspondu avec le président de la SI pour lui demander plusieurs vaisseaux identiques afin de brouiller les pistes. Le dossier contenait une information précieuse : tous les matins à six heures trente-sept, l'homme se rendait à ses bureaux en cargo.

La voleuse ouvrit un autre document : celui-ci contenait la position des puces des utilisateurs de la WhiteCorp. Elle cliqua sur celui du directeur, puis jeta un œil à son poignet. Six heures trente-neuf !

Elle activa une communication avec Loxias.

‒ Il est là ! sécria-t-elle.

Elle lui donna ensuite sa position dans le ciel.

Penchée sur son écran, elle était totalement focalisée sur sa mission.

En refermant les dossiers, elle aperçut quelque chose d'intéressant et se figea. La méga corporation avait affecté une unité de la Milice pour la protection du directeur. Il fallait qu'elle avertisse le chef des nightbreed. Avant qu'elle ne puisse le rappeler, une voix derrière elle la fit sursauter.

‒ Je savais que tu reviendrais un jour, dit une voix de femme douce et mélodieuse.

Odessa se retourna lentement et fit face à une femme vêtue d'une combinaison d'albâtre brodée d'or. Elle avait de longs cheveux roux ondulés et un visage fin, en tout point similaire au sien. Il était impossible de lui donner un âge. Sa peau était lisse et satinée, mais ses yeux bleus et durs brillaient d'un éclat ancien.

C'était Isleen. Isleen Vangelis, la fille du président.

‒ Comment... comment m'avez-vous découverte ? balbutia Odessa.

‒ C'est simple, expliqua-t-elle, j'ai mis une alarme qui se déclencherait et m'enverrai une notification mentale si tu entrais dans le quartier général de la méga corporation avec ta puce d'accès. Que viens-tu faire dans la salle de contrôle ?

La rousse se mit à reculer, les jambes flageolantes. Quand elle réalisa que ses mains tremblaient, elle se reprit. Elle était une voleuse redoutée à présent, et un membre de la Brigade Rouge. Elle refusait de retomber sous la soumission de cette femme, ou plutôt de ce monstre au visage humain. Non, jamais, elle préférait mourir !

Et elle ne mourrait pas sans avoir réduit en cendres la Singularity Industries. Elle serait reine, impératrice même, d'une terre de poussière et de larmes.

Elle recula encore, cherchant à gagner du temps. Que pouvait-elle bien inventer ? Non, quoi qu'elle dirait, Isleen ne la croirait pas. Elle n'avait pas non plus le temps de ressortir par là où elle était entrée. Il fallait trouver une autre solution, elle n'avait pas le choix.

‒ Je vois que tu as coupé tes beaux cheveux, reprit la fille du président. C'est dommage, tu ressembles à un garçon manqué maintenant.

Odessa laissa échapper un sourire qui ressemblait plus à une grimace. C'était justement le but.

Dans son dos, elle pianota sur son poignet, contrôlant la trajectoire de son overboard laissé à l'entrée. Il fallait faire parler son ennemie le plus longtemps possible avant son arrivée. Elle ne pouvait pas utiliser son pouvoir, car il avait tendance à flancher lorsqu'elle était anxieuse.

‒ Ah oui ? Je trouve qu'ils me vont mieux maintenant. Peut-être que vous devriez couper les vôtres vous aussi ?

Isleen Vangelis pinça les lèvres.

‒ Ne crois pas que je n'ai pas vu clair dans ton petit manège, déclara-t-elle. Je n'apprécie pas cela. Sache que des soldats de la Milice sont postés à l'extérieur. Un geste et je les appelle.

La voleuse était coincée. Elle n'avait plus qu'à suivre son plan.

Sans crier gare, elle se saisit d'un énorme vase en fonte incrusté de pierreries posé sur un meuble et l'envoya de toutes ses forces contre la baie vitrée qui surplombait la ville.

Dans une explosion de verre, l'amphore traversa le vitrail. Isleen poussa un cri.

‒ Non, tu ne vas pas sauter... tu es folle ! s'exclama-t-elle.

‒ Je ne serais pas la seule que vous aurez tuée, répondit froidement Odessa. Une mort de plus ou de moins sur la conscience, qu'est-ce que cela peut bien vous faire ?

Elle se jeta dans la brèche creusée par le vase et chuta dans le vide. Le verre brisé érafla son visage et ses bras nus.

Ses cheveux et sa cape battus par le vent, elle voyait le sol se rapprocher à toute vitesse. C'est alors que son overboard, flottant dans les airs, apparut dans son champ de vision. Elle eut un faible sourire. Si Meri avait été à sa place, elle se serait terriblement amusée. Mais elle n'était plus là à présent.

Elle poussa un soupir de soulagement tandis que l'overboard arrivait à sa hauteur. Elle parvint à se hisser dessus et la sécurité ancra ses pieds sur la planche. Elle se dépêcha de s'éloigner du quartier général de la méga corporation pour ne pas être suivie et se dirigea vers la petite cave des nightbreed.

Une vibration retentit dans sa tête. Elle décrocha.

‒ Notre planque n'est plus sécurisée, résonna la voix de Loxias. Nous n'y retournerons plus. Adieu, et merci pour ton aide.

Le brasier des étoiles [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant