☡ | Ta Panta Rhei

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La souffrance est un monde enfermé dans un esprit.

La jeune fille soupira quand son père se décida enfin à fermer la porte. Dehors, alors que le silence régna, elle crut apercevoir quelque chose à travers la fenêtre ; le calme.

Celui-ci était parfois une envie, une rêverie, une utopie ; une main qu'elle n'arrivait jamais à saisir. Elle passait son temps à voyager à travers des livres, des phrases et des mots. En vain. Certes, cela lui faisait tout oublier l'histoire d'une soirée. Ça avait le mérite de la presque soigner de sa solitude un temps. De l'absence d'ancrage. De la distance avec le monde qui l'entoura. De tout ce qu'elle ne comprit pas.

Rose eut l'impression de dériver depuis dix-huit ans déjà. En tout cas, c'était ce qu'elle ressentit en observant les ombres se promener dans la rue, libres, sous la surveillance de la lune.

L'idée d'être une ombre lui traversa la tête rien qu'une seconde.

Poussée seulement par le vent, vers un précipice inconnu, elle se demanda chaque jour si une soirée viendra où elle pourra jeter l'ancre. Elle voulut, là maintenant, qu'une ancre coule à sa place.

Comme si cette idée fut trop violente, Rose secoua la tête tout en prenant un livre dans ses mains. Les mots comme abandonnés dans un tourbillon, se perdirent dans un flou trop noir, et plus rien n'eut de sens.

Le bouquin engloutit, sous ses yeux, chaque mot alors qu'un corbeau se posa sur le rebord de la fenêtre. Ses ailes battèrent frénétiquement et une sorte de brise dérangeante s'invita dans la pièce.

Rose se sentit comme retenue par une force supérieure à la sienne. Comme condamnée à rester au centre de cette pièce. Ainsi, à contrecœur, elle ne fit ni déguerpir l'oiseau, ni son pelage sombre.

Elle préféra plonger sa tête entre les pages pour tenter de s'y perdre. Oublier ses problèmes. Oublier l'oiseau. Ne plus penser aux ombres dans la rue. Ces pages jaunes, usées, qui n'intéressent personne sauf elle. Juste ça. La solitude derrière des barreaux brûlants et ses livres. Elle regarda les pages comme pour trouver une issue à ses problèmes.

Mais, la jeune fille eut l'impression d'être face à un miroir.

L'océan des absents. Comment poser le pied sur une terre qui veut de nous ? Qui était aussi seul qu'elle sur cette Terre ? Qui pouvait la comprendre ? Est-ce que quelqu'un pouvait l'aimer ?

Un sablier posé sur une de ses armoires l'intrigua subitement. Elle y vit un signe : il était trop tard.

L'absence est une douleur qui brûle, sans but, chaque partie de notre corps et ce, de façon constante et permanente.

Une pierre lâchée dans le gouffre profond de l'âme, la douleur déploie ses griffes, et ses peurs, tandis que les lamentations lancinantes laissent leurs marques sur chaque parcelle de l'être, érigeant un écho éternellement endommagé.

La douleur c'est ça : un poison qui nous lacère l'être, qui nous prive d'air.

À la recherche de nouveaux présages, elle se perdit sur la route de la nuit éternelle. La lune ne put la surveiller ce soir-là. Les ombres libres comme l'air qu'elle n'avait plus, vagabondèrent dehors, dans la rue, alors que Rose fana dans son lit.

La lune apparut de derrière un nuage mais ce fut trop tard.

Une fleur mourra car ses pétales se nécrosèrent. D'une douleur qui la transperça comme une épine. D'un mirage qui se perda dans le brouillard, comme une dernière provocation. La faible lueur de la lune ne put rien y faire.

Le corbeau s'envola, Rose dans le bec.

Ses pétales à son image - entaillés un peu plus chaque soir, loins des autres, entre ses pages, dans le silence - chutèrent.

Entre les courants ou le vent, ces derniers résidus d'espoir ne trouvent toujours pas de port ou de phare à l'horizon ; grisonnant.

Oubliée pour toujours et sans repos.

La souffrance n'a pas de rives.

L'amour en noir [Poésie]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant