Lettre à votre cœur

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Ma chère Milena,

Face à ma porte, vous vous teniez douloureusement dressée. Votre maquillage coulait sur vos pommettes, mêlé de pluie, peut-être de larmes. Un pas nous séparait, et pourtant, je ressentais, je m'en souviens encore, un vide incommensurable. Entre nous, un gouffre effroyable, une force infinie nous éloignait l'un de l'autre ; vos yeux, encore rougis de tristesse ou de colère, semblaient me supplier de dire quelque chose. Malheureusement, ou heureusement peut-être, aucune phrase ne s'évadait de mes lèvres, rien.

Vous étiez à quelques centimètres de moi et je ne savais quoi vous répondre. J'étais comme pétrifié, faible. Le monde s'écroulait sur mes épaules quand vos longs cheveux noirs, que j'aime tant, étaient couverts de pluie. Quand votre visage était triste par ma faute, ma terrible faute.

Peut-être parce que, à mes yeux, vous étiez la plus belle et mystérieuse chose qui me soit jamais arrivée. Chacune de vos phrases embaumait mon esprit d'un parfum merveilleux. Je me rappelle encore de vos tirades comme des vers, vous peigniez notre quotidien d'un pinceau léger. Tout était toujours beau, fragile parfois, mais infiniment précieux. Nos instants semblaient se graver doucement entre le temps et la lumière, comme si le monde nous observait, nous étions des amants merveilleux, nous étions plus qu'amoureux.

Nos paroles s'harmonisaient comme le tintement de doux instruments à corde, la vie était rythmée par une mélodie unique, nos pas se coordonnaient, nos baisers discrets et calmes, nos doigts toujours entrelacés. Vous souvenez-vous de notre voyage à Florence ? Nos souvenirs, c'est tout ce qu'il me reste de nous, de vous, de ce bonheur trop grand pour mon cœur d'enfant. Nos lentes caresses comme les mouvements d'une voile de bateau, bercé par le vent, d'une brise. Mes doigts qui n'osaient que frôler votre cou alors que j'admirais votre corps comme on admire un Delacroix. Je vous ai si souvent admirée que je ne pense jamais pouvoir vous oublier. Vos nombreuses façons de rire, ou d'être surprise ou enjouée d'un rien, vos lèvres qui semblaient s'étirer à l'infini à chaque sourire. Un soir où je pleurais notre bonheur passé mais aussi mes erreurs, je repensais à vos lèvres, plutôt à cette particularité de votre sourire. C'est au fond de mon lit, entre une bougie et un livre, que je me suis demandé si vos sourires ne s'étiraient pas à l'horizon jusqu'au soleil.

Existe-t-il d'autres anges qui vous ressemblent ? Suis-je trop abruti par l'amour ? Sommes-nous ce que l'on nomme âmes sœurs ? J'aimerais tellement le savoir. J'aimerais vous rassurer. Vous étiez devant moi ; j'étais perdu devant vous. Je n'ai jamais su comment vous aimer. Je n'ai jamais su comment vous rendre heureuse. Pouvons-nous seulement nous sentir heureux ? Le bonheur existe-t-il ? Va savoir.

Milena. Ce surnom que je vous avais proposé vous avait ravie, le même que portait la maîtresse de Kafka. Vous qui aimiez mon côté littéraire, mais aussi mon côté casanier. Vous m'écoutiez comme si chacun de mes mots valait de l'or. Vous pleuriez le soir en lisant les poèmes que je vous écrivais. Savez-vous seulement que je n'ai jamais su écrire ce que je ressentais pour vous ? J'ai voulu vous décrire ; mais l'envie de parler de votre beauté à chaque ligne était trop forte. J'ai voulu décrire l'amour que je vous portais, il était trop grand pour ma faible plume, j'ai échoué.

Milena, sachez que même si l'amour ne suffit pas toujours, nous étions les plus heureux des amants. Ce soir, de mon pupitre, car je n'ai jamais été courageux, j'aimerais vous adresser ces quelques mots : nous étions trop jeunes pour cet amour trop immense, mais nous resterons pour toujours les êtres aimés éternels.

Milena, je vous ai causé les plus grandes souffrances en agissant comme un enfant. J'ai tant de mal à être un homme. J'ai tant de mal à être un poète à la hauteur de sa muse. Mes défauts suintent de ma plume et je ne peux vous les cacher. Mais sachez une chose, vous la plus solaire des lunes, j'ai toujours su qu'une terrible souffrance vous habitait et vous habite probablement encore, c'est pour cette raison que ma porte vous restera toujours ouverte.

Milena, vous êtes l'ombre que je veux.

Respectueusement, votre premier amour.

L'amour en noir [Poésie]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant