Les rires fusent, éclatent, se multiplient autour de moi, autour de cette table, de cette chaise, qui, étrangement, semblent plus vivantes que moi. Ils s'amusent, mes camarades, bavardant bruyamment, des anecdotes insignifiantes qui, pour eux, ont une importance démesurée. Ils attendent le professeur, tous ensemble, unis dans leur insouciance. Et moi, je suffoque sous ce vacarme, seul à le ressentir dans sa brutalité. Personne ne voit que je suis là, ou plutôt, que je n'y suis pas. Je suis assis, oui, mais à mille lieues de cette classe, exilé en moi-même. Combien de secondes encore avant que je puisse fuir ?Un regard, parfois, m'effleure, un de ces regards furtifs, entre compassion et curiosité. Qu'ai-je fait pour susciter leur pitié ? Pourquoi eux me jugent-ils comme s'ils comprenaient quelque chose que j'ignore ? Je ne suis rien d'autre qu'un homme qui erre, pas même un homme, en vérité, mais un corps, une enveloppe qui ne sait plus comment vivre, ni pourquoi elle devrait.
Ils doivent penser, ces autres, que je suis incapable d'être « comme il faut ». Et c'est vrai, je n'y arrive pas. Ce « comme il faut », cette règle tacite, ce mode d'emploi de l'existence, semble avoir été écrit pour tous sauf pour moi. Je ne suis pas même capable d'être moi-même.
Ce matin, elle s'est assise à côté de moi, une fille. Son regard pèse sur mon épaule comme un fardeau. Je baisse les yeux, je fixe mes pieds, espérant disparaître. Ce serait plus simple. Je ne veux pas affronter les yeux des autres, ils sont perfides, ils voient tout. Si je les regarde en face, ils verront cette différence, cet abîme que je porte en moi. Ils ne le comprendraient pas, ils en riraient, ou ils fuiraient. Peut-être que cette fille cherche à me comprendre, ou à jouer avec moi. Peut-être n'est-elle que curieuse. Mais qu'importe. Mon silence, voilà tout ce qu'elle aura. Un silence lourd, pesant, qui n'en finit plus. Un silence vieux de vingt-deux ans, ininterrompu.
Un silence immense, profond, sans fin, comme le néant qui me dévore. Il me sépare du monde, d'eux tous, de manière irrémédiable. Une barrière invisible, mais infranchissable, m'isole de leur réalité. Je ne suis pas avec eux, je ne fais pas partie de ce monde. Ce qui se passe autour de moi m'échappe complètement, tout m'est étranger, lointain. Je ne vis pas. Je ne souffre même pas. Je ne ressens rien. Le temps, c'est tout ce qu'il me reste, il me ronge lentement, me broie entre ses mâchoires impitoyables. Je suis un homme solitaire, perdu, abîmé, abandonné dans un no man's land.
Je ne suis nulle part, pas vraiment ici, pas tout à fait ailleurs. Je ne reconnais personne, rien ne m'attire, tout me fuit. Comment pourrais-je m'identifier à eux ? Personne n'est aussi perdu que moi. Personne ne se sent aussi étranger à sa propre existence. J'avance à reculons dans cette vie qui ne m'appartient pas.
Sur mon visage, un sourire inversé, une grimace qui ne trompe personne. C'est un masque, une façade pour cacher la douleur, mais ils savent, tous savent. Et pourtant, personne ne tend la main. Ils passent près de ma chaise, indifférents. Le monde bouge, change, évolue, mais moi, je reste là, immobile, en retrait, incapable de suivre leur rythme. Ils vivent, eux. Moi, j'existe à peine.
Quand je lève enfin les yeux, je vois leurs visages, ces masques qui ne trompent personne. Eux non plus ne sont pas sincères, ils mentent, se mentent entre eux, à eux-mêmes. Ce sont des pantins, des marionnettes, chacun manipulé par des forces qu'il ne comprend pas. Comment pourrais-je continuer à vivre dans ce cauchemar ? Cette terre est peuplée de marionnettes, et moi je veux partir. J'en ai assez.
Qu'ai-je fait pour mériter cette existence absurde, pour être condamné à une telle solitude ? Pourquoi ma peau brûle-t-elle à chaque fois que je m'approche des autres ?
« Il est étrange, le nouveau, non ? ». Ces mots, murmurés à mon oreille, n'ont rien d'un cadeau. Ils sont comme une sentence, un jugement définitif. Oui, je suis étrange. Je ne cherche même plus à me défendre. Ils ont raison, je ne sais pas où je vais, je suis perdu, définitivement perdu.
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L'amour en noir [Poésie]
PoésieL'amour que je cherche, le noir que je trouve. La solution à tous mes problèmes que je pensais cachée partout sauf en moi-même ; j'ai navigué près des autres, dans des eaux troubles. C'était sans compter la noirceur du monde et celle de l'humain. J'...