Chapitre 1

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Je ne sursautai même pas lorsque l'on me tapait sur l'épaule et me contentai d'éteindre ma machine et de retirer mon casque. Mon petit frère se pencha sur mon travail et admira le détail de la couture.

— Pourquoi est-ce que tu viens me déranger ? demandai-je en sachant pertinemment qu'il ne venait jamais me voir lors de mon processus créatif.

— Papa voulait te voir. En fait, il voulait te dire qu'il organisait un dîner au Guango vendredi.

Je haussai les yeux sans pouvoir retenir un soupir. Le Guango était le restaurant préféré de mon père et il ne manquait jamais de nous y traîner. Traîner parce que cela commençait à nous agacer de toujours manger au même endroit...

— D'accord. Je serais là.

— Il veut que tu viennes avec ta copine...

Je fronçai les sourcils.

— Je n'ai pas de copine et il le sait très bien.

— ... sinon, il fera venir Juliette.

Cette fille ? C'était hors de question ! Quand allait-il comprendre que je n'allais pas me marier avec elle ? Ce n'était pas que je ne l'aimais pas. Non, elle était même très bien : cheveux châtains jusqu'au épaules, yeux noisettes et taille marquée. Et puis elle était douce et gentille, introvertie et romantique, comme moi. Mais non, ça ne collait pas. Je n'avais pas de papillon dans le ventre ou d'envie furieuse de l'embrasser. J'étais seul et c'était très bien...

Antoine remarqua mon trouble :

— Peut-être que tu peux emmener Dallya à la place ?

— Ça ne marchera pas. Papa sait très bien qu'elle a récemment trouvé un copain.

— Alors trouves-toi une copine d'ici-là.

— Mais comment ?

— Inscris-toi sur un site de rencontre et prend la première qui vient. Il se passe toujours ça, dans les romans. Et puis tu tomberas amoureux et vous aurez trois enfants, une voiture bleue et un poisson rouge !

— Arrête donc de dire des conneries, marmonnai-je. Et dis lui que je serais là.

— Et ta copine ?

— J'en aurais une.

— Mais...

— Dehors ! Je travaille.

Je le poussais vers la porte. Il se débattit un peu, juste assez pour saisir le livre qui avait retenu son attention. Il eut une moue boudeuse en reconnaissant un énième bouquin de couture, le redéposa sur mon lit et quitta les lieux pour de bon. Je secouai la tête, me tournai vers mon ouvrage et soupirai. Je n'avais plus envie de coudre, désormais.

J'adorai mon père mais je ne supportais plus la pression qu'il me mettait pour que je trouve une copine. J'avais vingt-quatre ans. A mon âge, il n'avait pas encore rencontré ma mère alors pourquoi serai-je obligé de rencontrer la femme de ma vie maintenant ? Je voulais prendre le temps de trouver la bonne personne et développer ma passion. Mais il ne voulait pas le comprendre. J'étais le grand frère et il lui fallait un héritier. Je ne voulais pas de copine pour l'instant et encore moins un enfant. Et puis une copine... Une femme... Ça réduisait gravement les possibilités que pouvait m'offrir la vie. Je ne voulais pas être limité. Je voulais pouvoir aimer qui je voulais...

Je me rapprochai de ma machine pour finir ma couture puis déplaçai mes patrons pour ranger un peu le matériel qui était éparpillé sur mon bureau. Je rangeais les épingles, enroulais les fils et pliai les pièces de tissus. Je passais un rapide coup de balayette puis raccrochais mon casque sur mon mannequin, satisfait de ce petit rangement. Une fois que j'eus reposé le livre que mon frère avait négligemment lancé sur le lit sur la table de chevet, je me laissai tomber sur le matelas, bras et jambes écartées. Il n'y avait que ça pour me relaxer lorsque la vie m'envoyait mon lot d'embuches par le biais de mon père.

SamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant