Le pistolet

12 3 2
                                    


Il avait pointé son pistolet sur ma tempe, comme s'il comptait appuyer. Mais il ne le fera pas.

Mon regard fixé droit dans ses pupilles, je voyais. Si les yeux sont les reflets de l'âme, alors je voyais clairement qu'il n'en avait pas envie. Cela faisait maintenant trois ans que l'on était ensemble, et il s'était attaché à moi sans le vouloir.

De ce mariage forcé est né un amour incompris, mais surtout impossible. La première fois qu'il m'avait parlé, j'étais enfermée.

La Cour Suprême du Jugement Dernier, dite CSJD, m'avait condamnée à croupir dans cette cellule, attachée à un mur par des chaînes d'acier rouillées. Il m'avait toisée avec tant de haine, tant de dégoût. Je me souviens de ses prunelles brunes qui fixaient mes poignets ensanglantés. Les frottements entre le métal et mes articulations les avaient presque révélées au grand jour. Depuis ce jour où sa voix grave et sèche m'avait annoncée notre mariage, j'étais enfermée dans ma chambre.

J'étais bloquée, attachée par des chaînes émotionnelles, mais surtout celles que la Famille Royale avait créées. Si ce magnifique imbécile ne se mariait pas avec moi, il n'aurait plus son titre de Prince, et de futur Roi.

Au fur et à mesure du temps, je l'ai aimé, et il m'a aimé à son tour. Mais depuis deux mois, tout avait basculé. Ses parents ont été assassinés par un groupe d'activiste, duquel j'étais la cheffe avant ma condamnation par la CSJD. Il est vite venu à une conclusion : j'étais la coupable.

On a commencé à se disputer tout le temps, à se haïr, et à se connaitre comme deux inconnus se connaitraient. Et nous étions maintenant ici, englués jusqu'au cou dans cette situation. Il ne me regardait qu'à moitié. Il fuyait mon regard, mais je ramenais toujours ses yeux devant mes pupilles pour qu'ils s'y plantent, en tournant son visage vers le mien.

Toucher son menton et sa barbe de trois jours me fendait le cœur. Toutes ces sensations me ramenaient à cette fameuse nuit. Quand j'avais senti son odeur pour la première fois, quand son corps s'était confondu avec le mien, quand sa peau a effleuré la mienne, quand je l'ai réellement aimé pour la première fois.

Ses yeux étaient humides, et des larmes coulaient sur ses joues. Il les balaya d'un revers de la main et me regarda avec ces mêmes yeux qui m'avaient encore dévorée ce matin. Je ne comprenais plus.

Voulait-il réellement me tuer ?

M'avait-il un jour aimée ?

Était-il vraiment celui que je croyais ?

Je décidai de le confronter, mais ma voix ne sortit pas un mot. Je pleurai. J'avais peur de mourir. C'est d'une imbécilité. Il y a encore trois ans, à mes vingt ans, je ne redoutais plus la mort. Je la confrontais tous les jours. Je comptais me tuer à petit feu en prison, puis il est entré dans ma vie. Il allait en sortir tout aussi vite.

Je faisais un pas vers lui, mais il ne bougeait pas d'un poil. Son bras restait au même endroit. Il ne reculait pas, ne me repoussait pas. Je me laissai tomber dans ses bras et l'enlaçais. Je ne voulais pas qu'on soit ça.

Je ne voulais pas que le « Nous » qu'on avait mis tant de temps à construire meure si vite. Je ne voulais pas le perdre. Je ne voulais pas être seule, je ne voulais plus le haïr.

Je voulais seulement l'aimer, et surtout, qu'il m'aime à son tour. Il me repoussa violemment et me menaça à nouveau de son arme.

Pourquoi ? Je ne comprenais plus ce qu'il ressentait...

« Pourquoi ? ... ».

Ces mots furent mes derniers, que je lâchais dans un souffle. Une balle venait de pénétrer mon abdomen, en plein entre mes seins. Puis une deuxième. Elle ne venait pas de devant, mais de derrière. Mon mari écarquillait les yeux, mais son pistolet ne tomba pas de sa main. Il ajusta et tira onze balles. Il vida presque son chargeur dans le corps de mon tueur.

Il lâcha son pistolet et couru vers moi. Il ne parlait pas, il regardait en silence. Des sanglots s'échappèrent de ses lèvres, et un cri brisa ce moment de calme.

Allait-on finir notre relation sans amour, sans haine, sans sentiments ? La fin serait-elle la même que le début ?

Je ne pouvais plus bouger, ni parler. Mes poumons me lâchaient, mon cœur ralentissait.

Alors que je partais lentement vers les Enfers, mon prince releva les yeux de mes plaies et les planta droit dans les miens. Je voyais la tristesse profonde d'un début de deuil. Trois mots. Il articula trois mots, et ce sont eux qui ont officialisé ma mort.

« Je t'aime ».

Ces mots ont clôturé le dernier chapitre de notre histoire, de notre amour.

Si seulement j'avais pu l'aimer sans peurs. Si seulement je n'avais pas été dans ce groupe d'activistes. Mais je n'ai fait qu'enchainer les plans sans avenir.

Je poussais mon dernier soupir et m'étendis de tout mon long sur l'asphalte dure de la route. Je ne ressentais plus rien. Je n'avais plus peur.

Je l'aimais. Et c'était tout.

Je suis morte en l'aimant, et il m'a vue mourir en m'aimant.

N'est-ce pas là une belle fin ? Ou peut-être n'est-ce que le début qu'une longue histoire ? De son histoire ? Je l'espérais.

Un coup de feu.

Un simple coup de feu et un corps sur le mien avait suffi à détruire mes semblants d'espoir.

Nos deux corps, morts, entassés, dans une dernière accolade funéraire. Une histoire, celle d'un Roméo et d'une Juliette. Morts ensemble, dans l'amour, mais mort en vain, pour toujours.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant