Prier

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La cloche de l'église sonne. Pour la troisième fois depuis que l'évènement a commencé. Je m'avance vers le trou où est déposé le cercueil de ma sœur. Elle est partie il y a deux jours. Mais j'ai l'impression que cela fait une éternité qu'elle n'était plus elle.

Un mois. C'est le temps qu'a mis la vie pour la quitter. C'est le temps que j'ai passé à la voir mourir, à rester à ses côtés. C'est le temps que j'ai pris pour prier.

La panique. C'est tout ce que je retiens de l'anniversaire de ma sœur. Tout se passait bien : la famille, les amis, tous étaient là ; Emilie était aux anges. Nous riions, jouions, sous un soleil qui annonçait le début de l'été. Nous nous étions réunis autour d'une table, au milieu du jardin. Ma mère a apporté le gâteau à étages. Notre père était mort peu avant, il fallait que cette journée dépasse tous les entendements. Que ma jumelle soit heureuse.

Elle a soufflé les bougies, un sourire aux lèvres. Et, d'un coup, sans que personne ne l'ait vu venir, elle s'est écroulée. Deux minutes. C'est le temps que j'ai passé à lui faire un massage cardiaque. Les pompiers sont arrivés. Ils l'ont réanimée. Ma mère est montée dans l'ambulance avec Emilie. Et moi, je restais là, sidéré. Ma sœur était morte le temps de deux longues minutes, qui parurent être des heures.

Une insuffisance cardiaque. Un infarctus du myocarde. Je connaissais trop bien ces mots. Tout d'abord parce que j'étais en deuxième année de médecine. Mais surtout parce que notre père avait souffert des mêmes malheurs.

Mon père était fan de tabac et d'alcool, et ma sœur une grande angoissée. Leur cœur n'a pas tenu. Le muscle cardiaque s'était détruit, et s'était tout. « C'est tout. ». Quelle ironie. On dirait que c'est anodin, alors que cette même déchirure m'a enlevé deux de mes trois piliers.

Tous les soirs, tous les matins, je répétais les mêmes mots : « Ô Dieu, Père des Hommes, écoutes mes prières et soigne ma sœur. Sainte, elle a toujours respecté et aidé son prochain. Soigne-la, je t'ne supplie. ». Puis je pleurais. Longtemps.

Un matin, j'étais en cours, et mon téléphone sonna. Je décrochai. Une voix féminine m'annonça brièvement le décès de ma sœur. Je m'effondrai. Les autres me regardaient bizarrement, comme un fou. Je sortis de la pièce en courant. Je prenais ma voiture et fonçai chez ma mère. Quand j'arrivai à sa porte, je rentrai et la trouvai assise au sol, à côté du téléphone fixe qu'elle n'avait même pas remis sur son socle. Alors je m'assis à côté d'elle, et nous pleurâmes ensemble.

Et aujourd'hui, elle pleure dans mes bras. Mes larmes coulent, mais je ne produis aucun son. Pas de sanglots, de cris. J'en veux à cette cloche, à ce prêtre, à Dieu, à mon père, à ma sœur. J'en veux à tout le monde, sauf les fautifs. C'est étonnant, cette haine que l'on ressent envers des personnes innocentes. Juste parce qu'une partie de nous ne se remet pas d'une mort.

Et cette même partie ne s'en remettre jamais. On pleurera toujours, quand on ira sur la tombe de ma sœur, sur celle de mon père. Quand on dira leur nom, quand on pensera à eux, à leur visage, à leurs actions.

C'est la douleur du deuil, la haine de la mort, la joie de ne plus voir notre autre souffrir. Depuis la mort de ma sœur, il y a seulement une semaine, je n'ai plus prié. Si Dieu ne m'entend pas, je ne lui parlerais plus. C'est ainsi. Alors j'ai arrêté de prier, j'ai agi. J'ai fait mon deuil, je suis devenu major de ma promotion. Et je deviendrai un homme bon, sans Dieu.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant