Corps

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Un miroir brisé. Des larmes gaspillées. Du sang étalé. Trois éléments, une histoire. La mienne. Un soir, j'avais refait une crise. J'étais rentré, j'avais commandé. Et j'avais trop mangé. Alors je me suis fait vomir. Mais je suis allé trop loin. Alors j'ai vomi du sang. Je me suis relevé, et j'ai regardé mon reflet dans le miroir. Une goutte de sang coulait sur mon menton, et des larmes coulaient sur mes joues.

J'avais détesté ce que je voyais : mon visage trop rond, mon cou trop long, mes yeux trop globuleux, mes cheveux trop secs. Et j'avais regardé mon corps : mes hanches trop épaisses, mes jambes trop fines. Je détestais mon reflet. Je me détestais.

Et rien ne s'était amélioré : en quelques mois, je ne détestais plus que mon reflet, je détestais tout ce que j'étais. Un jour, j'avais ri, et j'avais trouvé ce son parfaitement haïssable. Trop fort, trop grave, trop sincère. Alors j'ai arrêté de rire. Puis, quelques jours après, j'avais arrêté de parler fort ; je chuchotais. Quelques semaines après, je ne parlais quasiment plus, je ne souriais plus. J'étais comme éteint.

Mais à ce moment, j'étais heureux. Enfin, je n'étais pas heureux, mais je n'étais pas triste. Alors j'ai vécu comme ça trois années durant. Et un soir, je me suis regardé dans la glace : j'avais grossi.

Alors, quoi ? Tous ces efforts avaient été vains ? J'avais tout changé en moi, pour rien ? Cette idée m'enrageait. Alors, dans un élan de colère, je frappai dans le miroir qui me montrait ce que je ne voulais pas voir.

Quand le miroir ne pouvait plus m'aider à être meilleur, j'ai fait appel à un autre objet : ma balance. De sa place, elle me jugeait. Elle me donner un chiffre, que je voulais absolument faire baisser. Alors j'ai arrêté de manger, peu à peu.

J'ai commencé par manger moins. Puis j'ai sauté des repas. Puis j'ai arrêté de manger deux jours sur trois. Puis j'ai perdu du poids. Beaucoup de poids. Quinze kilogrammes de moi en moins. Malgré tout ça, je devais encore maigrir.

Un jour, en cours, je me suis levé pour aller corriger un exercice devant tout le monde. Et je suis tombé. Le noir, le vide total.

Trois heures après, j'étais allongé sur un lit d'hôpital, et un léger rayon de soleil se glissait à travers la fenêtre. La pièce était faiblement éclairée et j'entendais un "bip" régulier. Un médecin était venu me voir et avait été très clair : si je n'étais pas venu à l'hôpital, pour un malaise ou non, j'aurais pu mourir. Mon corps n'avait plus de quoi fonctionner pleinement et sainement.

J'ai commencé à manger de nouveau. Et j'ai pris du poids. Seize kilogrammes en trois mois. Mais quand je me regardais dans cette glace brisée, ou que je voyais les chiffres de la balance s'afficher, je n'étais plus triste. Et, peu à peu, j'ai commencé à m'aimer.

Tout ça s'est déroulé il y a maintenant deux ans. Et aujourd'hui, c'est mon dernier jour dans cet appartement : j'ai changé le miroir, j'ai jeté la balance, et j'ai trouvé quelqu'un qui m'aime. Et il m'aime exactement comme je suis.

Je suis moi, et fier de l'être.

Mon corps est parfait, même s'il n'en a pas l'air.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant