Ton nom

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Et si une personne n'était pas celle que tout le monde pensait ? Et si cette même personne était un démon que le monde voyait en ange ? Et si, toute votre vie, vous vous convainquiez qu'elle allait changer, qu'elle n'était pas fondamentalement méchante ? Et si, au moment de voir son cercueil descendre dans la tombe, vous ne pleuriez pas ? Et si cette personne, c'était votre propre mère ?

Cela vous fait certainement rire, ou vous révulse : une fille n'a pas pleuré pour la mort de son aimable mère ! Mais la vérité est toute autre. Cette mère, si aimable, si serviable, était celle que cette fille redoutait. Des claques, des coups de poing, des bleus ; la fille était marquée des horreurs qu'on lui avait infligé.

La mère, souriante, était aimée.

La mère, souriante, jouait.

La fille, souriante, était enviée : sa mère est si gentille, si riche, si aimable.

La fille, souriante, mentait.

Je suis cette fille. J'étais souriante. J'étais menteuse. Et, d'un coup, venu de nul part, ma mère est morte. On m'a appelée pour son enterrement : je devais faire un discours, choisir le cercueil ; on avait laissé la sépulture de mon pire cauchemar dans mes mains.

Alors j'ai mis des roses blanches sur son cercueil, j'ai préparé un discours magnifique, j'ai joué mon rôle une dernière fois. Et dans les yeux de mon père, je voyais bien qu'il savait. Il savait que je mentais. Alors j'ai pleuré. Beaucoup. J'ai craqué. Et j'ai parlé.

J'ai tout avoué : la maltraitance, la surveillance extrême, les critiques, les coups. J'ai absolument tout avoué. Parce que je le devais. Je ne pouvais pas laisser ma mère s'en sortir ainsi.

Cécile Karmer. Mère de trois enfants. Mais un seul assiste à l'enterrement de ce monste : moi.

Kelly Karmer. Fille de Cécile Karmer et de Patrick Karmer. Seul enfant à avoir voulu assister à cet enterrement. Parce que la femme que l'on honore aujourd'hui n'était pas honorable. Elle a détruit trois vies. Deux de ces vies ne peuvent plus s'aimer, et la troisième a décidé d'essayer malgré tout.

Kelly Karmer. C'est la seule chose que ma mère m'est transmise : son nom. Karmer. Fut un temps, j'étais fière de le prononcer : il était synonyme de bonheur, de joie, d'amour.

Et sont venus mes quinze ans. Et tout a changé. Je devais être parfaite : ne pas hésiter, savoir parler, savoir marcher, savoir aimer, savoir être aimée. Je devais tout savoir faire. Mais j'étais si jeune. Comment peut-on savoir tout faire à quinze ans ? On ne le pouvait pas.

Et ma mère le savait. Elle jouait de ça. Je devais rester près d'elle, l'aimer, la chérir. Ainsi, j'aurais été parfaite. Pas comme les "deux autres", comme elle aimait appeler mes frères.

Devoir. Je devais devoir. C'est presque étrange. Je devais devoir savoir tout faire. Je devais devoir tout à tout le monde.

Mais maintenant, je ne dois plus rien à personne.

Je ne te dois plus rien, maman.

Je ne dois plus rien à ton nom.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant