Iris

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Dès très jeune, Iris n'aimait pas les poupées. Elle préférait les voitures, des vêtements dans le rayon "garçons", le foot. Alors, certains lui diraient : "Tu es une femme, tu ne peux pas aimer ça !", comme ses parents. D'autres lui diraient "On est en 2024, qu'importe, tu as le droit !", comme ses amis. Et d'autres lui diraient : "Sale lesbienne.", comme ses harceleurs.

Parce qu'Iris, elle a été harcelée. Longtemps, très longtemps.

Iris a bien grandi, elle a douze ans. Elle a douze ans, et elle n'aime pas le collège. Pas parce qu'elle n'a pas d'amis, mais parce qu'elle ne s'y sent pas en sécurité. Cette année, elle avait dit à sa confidente être lesbienne. Sa confidente n'avait rien dit sur le moment, elle avait gardé le silence. Alors Iris avait eu peur. Parce que le silence, ça laisse place au doute. Les mots, ça veut tout dire : la joie, la tristesse, l'indifférence, l'incompréhension, la peur. Mais là, son amie n'avait rien dit. Elle avait laissé planer le doute, laisser planer le silence. Alors Iris tremblait de frayeur. Et elle avait raison. Cette fille l'avait dit, dès le lendemain, à tout le collège : on ne regardait plus Iris comme avant. Les gens la dévisageaient, les profs ne l'interrogeaient plus, les filles la fuyaient. Alors Iris se renfermait sur elle-même. Puis elle s'est faite harcelée.

Iris a dix-huit ans dans deux jours. Elle dira tout à ses parents. Elle est heureuse. Elle n'a pas peur. Iris est amoureuse, libre, et s'assumera pleinement.

Iris est morte. Oui, elle est morte. Suicidée. Iris s'est faite expulsée de chez elle par ses parents quand elle leur a tout dit. C'est triste, n'est-ce pas ? Oui, c'est triste pour nous. Mais Iris, elle, elle est joyeuse au Paradis.

Ça fait dix ans maintenant. Dix ans qu'Iris est morte. C'est toujours aussi triste, quand on parle d'elle. Parce qu'on a l'impression qu'elle est morte hier. Pourtant, c'est joyeux sur une pancarte. "A Iris.". Ça parait tout joyeux là. Ça parait léger, dénué de sens, dénué de compréhension. Mais c'est triste en réalité. Parce que, quand Iris est morte, elle ne s'est pas dit : "Super, mon nom sera sur une pancarte dans dix ans, à la gay pride !". Non, quand elle est morte, Iris a pensé "Et si j'avais été normale ?".

Et nous, ces mots, ils nous paraissent insensés. Normale ? C'est quoi, être normale ?

Pour Iris, être normale c'était aimer les poupées, avoir plein d'amies parce que les garçons devaient être "dégoutants" ; pour Iris, la normalité c'était son contraire. Pour Iris, elle aurait dû être quelqu'un d'autre.

Alors pourquoi on met son nom sur une foutue pancarte ?

Parce que cette foutue pancarte, c'est un foutu message pour une foutue noble cause défendue par des foutus énergumènes qui ne sont pas foutus capables de comprendre les foutus énergumènes qui les détestent.

Parce que cette foutue pancarte, c'est une foutue manière d'aimer Iris.

Parce que cette foutue pancarte, c'est une foutue manière de faire comprendre à Iris qu'elle était normale.

Qu'elle devait être fière.

Qu'elle devait être elle-même.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant