Le prix de l'excellence

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Être née avec des facilités cognitives, ça a toujours donné envie à n'importe qui. Mais personne, absolument personne, ne s'est douté du poids qui pèse sur les épaules de ce qui ont cet "avantage". Parce que, quand on nait avec la faculté de savoir apprendre, on parait chanceux, mais on ne l'a pas. Naitre avec cette chance, ce fut sans doute ma pire chance. Parce quand vos parents apprennent l'excellence à quiconque les connait, quand vous savez qu'ils ne seront jamais fiers de vous si vous n'avez pas un prix Nobel, alors vous savez que vous souffrirez. Parce que vous devrez vous tenir, sourire, ne pas faire la grimace, ne pas manger en public, ne pas sourire à pleine dents ; être la meilleure version de vous.

Pendant les quatorze premières années de ma vie, j'ai été nourrie, bourrée à ces attentes, à cette exigence extrême. Je devais être la fille parfaite, l'amie parfaite, la petite copine parfaite. Tout en moi devait atteindre l'excellence.

L'année de mes quinze ans, je suis rentrée en troisième. Cette année, pour la première fois depuis ma naissance, mes parents ne me mettaient plus la pression. Parce que je le faisais moi-même. J'avais tellement été habituée à être parfaite que je m'imposais ces objectifs à moi-même. Et je n'en ai jamais parlé. Alors, quelques mois après ma rentrée, alors que je me donnais à fond, je me suis noyée dans les Abysses de la pression. Je sentais peu à peu mon esprit être submergé par les choses à faire, jusqu'au craquage. Jusqu'au burn-out.

J'ai pleuré deux semaines durant. Mais, à quoi bon en parler ? Tout était de ma faute : j'échouais dans une entreprise où mes parents, mes grands-parents et tant d'autres avaient réussis sans difficulté. Le problème n'était pas les objectifs, c'était moi. Je ne savais rien faire : je ne savais pas écouter, je ne savais pas comprendre, je ne savais pas aimer ; je ne savais pas être la femme que je devais être. Au collège, j'affichais un sourire fabriqué, comme depuis mon premier jour dans le système éducatif. Parce que, même à mes trois ans, ma perfection devait être égale à celle d'une reine. Alors personne ne m'avait vu craquer. Pendant les quelques mois qui me séparaient du DNB, j'avais fait semblant, et j'avais pleuré une fois couchée. Je ne dormais que quelques trentaines de minutes par nuit, je ne mangeais plus qu'un morceau de pain ; mon mal-être se répercutait sur mon corps. Mais personne n'avait remarqué, si ce n'est ma meilleure amie.

Nous nous connaissions depuis la sixième, et elle savait ce que je vivais au quotidien. Elle ne le vivait pas, mais elle savait. Un soir, alors qu'elle était à la maison, ma mère m'avait frappée. J'avais rigolé trop fort à son goût. Alors ma meilleure amie m'avait regardée sidérée. Nous avions toutes les deux treize ans.

Et cette fois-ci, nous avions quinze ans, et j'ai osé. J'ai osé pleurer sur son épaule. Elle m'a conseillée d'en parler à mes parents. "On ne sait jamais...", avait-elle dit. Mais moi je savais. Je savais pertinemment Qu'ils riraient, qu'ils me jugeraient.

Alors je leur en avais parlé, et leur seule réaction fut : "Tu veux suivre la mode, c'est tout. Allez, montes dans ta chambre et apprends.". Quand je dis "leur", je parle plus précisément de ma mère, et uniquement ma mère. Mon père, lui, ne s'est jamais investi dans mon éducation. C'était comme un fantôme qui n'apparaissait que de temps à autre, pour crier, et rien de plus. Alors j'ai renfoui mes peines sous des masques de joie, et j'ai fait comme si de rien n'était. Et soudain, sans que je m'en rende compte, j'étais déjà rentrée au lycée. Et, petit à petit, je me sentais mieux. J'ai arrêté de pleurer, je n'avais plus cette constante pression sur les épaules. Je voulais toujours atteindre l'excellence, mais je ne me centralisais plus sur l'excellence : je me centralisais sur mes progrès. Je me donnais un objectif, et le remplir m'aider à atteindre mes buts principaux ; je voulais être parfaite, mais j'avais encore le temps de le devenir.

Puis, trois ans après, je rentrais à l'université. J'aimais celle que j'étais devenue, mais mes parents me rabaissaient constamment. Alors j'ai pris une décision qui est, pour moi, celle qui a changé ma vie à jamais : j'ai coupé tous les ponts avec mes parents. Je ne les ai plus revus de toute ma vie. Ils m'avaient poussée à bout, et c'était leur punition.

J'avais perdu pieds quatre ans de ma vie.

Ils avaient perdu une fille.

C'était le prix de l'excellence.

Les Contes de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant