Page 4 : Papillons

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Nous sommes le 13. Je n'ai pas été à l'hôpital, comme me l'a demandé ma mère. Mais j'ai été longtemps au téléphone avec son psychiatre, qui m'a conseillé d'attendre que les choses se calment.

Ça fait trois ans, que j'attend que les choses se calment, tu me fais rire abruti.

Je n'ai pas changé mon rythme d'appel, ni mon rythme de visites. J'appelle ma mère tous les deux soirs, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente. Je l'aime. Et je vais la voir un week-end sur deux. Elle ne s'est jamais demandé où je trouvais tout cet argent, je pense qu'elle pense que je me sert dans l'héritage de la famille.

Mais quoi qu'il en soit, je vais la voir. Parce que je l'aime et elle est assez seule comme ça, pour que je lui tourne le dos.

S'ajoutait à ça l'humeur massacrante de Séléné, avec qui j'ai eu un tête à tête forcé dans la nuit du 11 au 12. Elle ne me parle pas, moi non plus, et ça me fait bizarrement de la peine parce que... je ne sais pas. C'est comme ma semi-grande sœur chiante. Je la hais mais je suis attaché à elle. Après... j'ai failli la tuer donc... elle a raison de me faire la gueule.

Et en même temps la légèreté avec laquelle j'en parle me donne des frissons.

Enfin... on a cambriolé une bijouterie, et c'était terminé. Ça lui passera, ou pas. De toute façon, je suis un maître dans l'art du deuil .

C'est amusant de voir comment écrire ce journal remplit mon quotidien d'épisodes rétrospectifs. Ça m'aide à organiser mes pensées. En premier lieu parce que je compte les aspects de ma vie...

Il y en a sept... je pense. J'en ai déjà raconté trois. Et j'ai bizarrement envie d'expliciter les autres d'un coup. C'est la magie du mot, j'imagine.

Donc le 13 février, par un beau lundi d'hiver, le groupe instagram s'est enflammé d'une détermination soudaine. D'un coup, on se donnait rendez vous un lundi de 14h à 18h dans un box de la BU de Panthéon Sorbonne, pour travailler comme des forcenés. C'était drôle. Même Kelya, et même Elliott alors qu'il y avait Kelya. Tout le monde sauf Marie. Et Vanessa était à l'heure.

Et le pire, c'est qu'on a vraiment travaillé.

Kelya et Elliott sont tous les deux en licence d'Histoire, et ils avaient pris l'habitude de travailler ensemble. Pas cette fois. Cette fois, Kelya travaillait en silence, avec son casque sur les oreilles, concentrée sur son manuel au bout de la table, et Elliott la fixait distraitement, les larmes aux yeux, la tête dans les bras.

Il me fait de la peine.

Mais moi je crois paradoxalement à la justice, et encore plus à la justice divine. Je ne sais pas laquelle, mais tout se paie.

Angélique et Liam en revanche sont en Histoire de l'art, et travaillent majoritairement sur image. Ils apprenaient des dates tous les deux à voix basse dans leur coin de la salle. Et Vanessa, réputée pour son calme religieux quand elle travaille, était face à son ordinateur, les casque sur les oreilles, semblant ignorer notre présence à tous et travaillait de son côté. Elle est en Lettres avec moi, mais on n'a pas de cours en commun, hormis les CM, durant lesquels on ne se parle pas vraiment.

Il n'y a que quand elle travaille qu'elle ne sourit pas, Vanessa. Le reste du temps elle est joviale et souriante, mais quand elle est concentrée elle a le visage tordu d'une petite moue crispée, et se mordille les lèvres distraitement.

C'est pour ça qu'elle a toujours les lèvres gercées d'ailleurs.

Maintenant que j'y pense, le seul aspect de moi que je ne cache pas, c'est mon attirance pour les lettres et la culture littéraire. Un aspect qui, je le sais, dénote avec ce dont j'ai l'air. Mais les potes n'osent pas trop aborder ce sujet, encore moins celui de mon look. Je ne pense pas avoir l'air menaçant avec eux, et il est arrivé que Kelya tire en arrière ma capuche amicalement, mais jamais ils ne m'embêtent vraiment à ce sujet. Aucun d'eux.

Papillon de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant