Page 9 : Mutinerie

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Hugo m'a déposé chez moi. Sans un mot dans la voiture. Je l'ai remercié, Angélique dormait sur son siège.

- Mec !

Je me suis retourné, dans le demi-silence éreintant de la nuit parisienne.

- Merci Neil. Je t'en dois une belle.

J'ai juste souri, et je suis rentré chez moi.

L'escalier résonnait dans ma tête. La serrure ne voulait pas atteindre ma clé. J'avais froid.

Et quand mes yeux se sont posés sur mon reflet dans le miroir de ma salle de bain, je me suis félicité de ne pas avoir retiré l'élastique qui tenait mes cheveux hors de ma figure avant de rentrer.

Parce que je suis tombé à genoux et j'ai vomi toute la soirée dans mes chiottes. Comme si mon corps rejetait le moindre souvenir que j'en avais eu, la moindre émotion, le costume de Vanessa, l'odeur des cheveux de Marie, les angoisses d'Angélique, la connerie de Liam, la tristesse de Hugo, le goût du joint... tout.

J'ai fini en short sur le tapis, à attendre que ça passe, essoufflé et malade.

Et quand je me suis relevé, barbouillé, incapable de comprendre mes sensations, j'ai vu que mes yeux étaient allumés sans que je ne soit en train d'utiliser mon aptitude. "Non..." ais-je soupiré avant de retomber en grognant de douleur.

J'ai fait une crise.

Mais qu'on soit bien clair, une crise d'aptitude, ce n'est pas comme une crise de nerf, ou une crise d'angoisse. C'est pire qu'une crise cardiaque.

C'est quand une aptitude prend en charge l'expression des sentiments, mais contre ton gré. Or une aptitude ne peux pas se déployer contre le gré de son corps et de son esprit. Alors une crise d'aptitude, c'est une sorte de mutinerie du corps. Dans mon cas, mes ombres remplacent mon sang et mes veines deviennent noires sous ma peau.

J'ai l'impression d'être passé sous vide quand ça se produit. Je ne peux pas hurler où ça attirerait les voisins. Je n'ai pas de remèdes, pas de techniques pour me calmer, rien ; je dois attendre que ça passe.

Mes pensées se diluent, j'ai l'impression de brûler de l'intérieur et qu'on me scalpe le dessous de la peau. Alors j'attrappe péniblement ma serviette de bain et je hurle dedans à plein poumons. Les larmes coulent et se changent en un sanglot qui grandit autant que ma douleur diminue.

Mais les crises me forçant à lâcher prise sur mes nerfs, alors j'ai pleuré.

J'ai pleuré plus de quarante minutes, m'épuisant encore plus que je ne l'étais déjà. La douleur est telle que je ne peux pas marcher, je peux à peine respirer. C'est une mort subite qui te frappe par derrière sans prévenir quand ton esprit dit "non."

Et pour dire non, il a dit non ce soir-là.

C'est bien simple. Je n'ai pas le moindre souvenir de ce que j'ai fait suite à la crise.

Je me suis réveillé dans mon lit – jusque là rien d'anormal –, mais j'étais dans mon uniforme de Marginal – moins normal –, la fenêtre était ouverte – inquiétant –, et mon bureau était sans dessus dessous – terrifiant.

Papillon de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant