Comment ne pas douter que ce soit réellement une erreur ?
Chère Vanessa,
J'ai des choses à bafouiller. L'ébauche timide d'un esprit affable, et qui ne cherche qu'à se taire. J'ai parfois le sentiment que plus je veux dire, moins je peux parler. Pourquoi est-ce si dur de crier et si simple d'écrire ? J'ai l'impression que La Folie, la Passion, La Haine, la Peur, la Rage, ou l'Angoisse, une fois reine, qui d'un regard vole les âmes, m'ouvre la poitrine et de sa main me prend le coeur en me disant : De cela ne dit pas mot. Pourtant, à l'inverse, dès que je veux écrire, j'écris à l'excès comme une dissertation du cœur qui n'a pas de mal à s'imprimer sur le papier. J'aime à semer des jolis mots qui ne sont pas de moi dans un texte que j'adresse à une muse qui ne peut pas être mienne.
Et so ben ch'i' vo dietro a quel che m'arde.
Alors pardonnes moi de débarquer comme une ombre, c'est juste que tu en fait à mon coeur, Princesse. Je ne veux que te remercier de donner un corps à mon identité de la nuit, de donner une âme à un rescapé de l'oubli. Et je pourrais te chanter à la sérénade ces balivernes ivres dont tu ne dois pas croire un mot. Parce qu'on jurerait voir un Papillon de jour perdu dans le regard de la nuit, et si tu peux te laisser admirer pour tous que tu ne te donnes aucun mal à être, laisse moi juste de dire ce que tu m'inspires.
J'aimerais pouvoir te les dire, ces lettres. C'est pour ça que je les écris. J'aime faire de toi ma poésie, j'aime cet ethos de poète candide ; de simple amateur du verbe rendu grand rhétoricien par l'intermédiaire d'une encre qui ne sera jamais vue. J'ai l'impression d'un éveil soudain à l'Histoire. Ne se moque t-on pas de la mélancolie des auteurs, d'un Ovide réduit au paraclausithyron, d'un Pétrarque jamais calme, d'un Baudelaire au bord de la folie ? – Pourtant que n'avaient-ils pas raison d'écrire pour mieux pleurer. Je n'en suis pas encore si misérable, ne t'en sens pas coupable. Et je n'attend pas une immortalité abstraite, ou une reconnaissance d'artiste. Simplement, c'est là une excellente façon de donner vie à des rêves irréalisables.
Je tombe trop dans l'abstrait, n'est ce pas ? – Surement. Mais j'ai le sentiment d'une alternative sombre au mythe de Psychée. Prends moi pour un fou, pas pour un monstre, pitié. J'ai honte, mais la perspective de faire ça me paraît si délicieusement juste, et si dramatiquement idiot que j'ai cessé de lutter. Alors, si tu peux me pardonner la familiarité de ce "tu" malvenu, laisse moi te dire des choses que d'autres ont dit et diront toujours mieux que moi :
"Je te laisserais des mots
En dessous de ta porte
En dessous de la lune,
Qui chante."
Nox.
Vanessa dormait encore une fois.
Mais il y avait sur son bureau des tubes de pommade, de la gaze, des bandages. J'ai serré les dents. Et en parcourant la pièce du regard, j'ai vu un petit soliflore, dans laquelle était encore ma rose blanche de la dernière fois. J'ai souri, secoué de soulagement. Et alors j'ai posé ma troisième fleur dans le petite vase, à côté de la seconde, tout ému. C'était une pivoine blanche cette fois, j'adore ces fleurs.
Ma dernière lettre était posée sous un désordre relatif sur le bureau, entre l'ordinateur et quelques livres.
J'ai soufflé, pour calmer mon pauvre cœur, et j'ai tourné les yeux vers son lit.
J'ai sursauté, presque fait un pas en arrière. Par un œil à peine entrouvert, j'ai vaguement cru qu'elle me regardait. J'ai dû rêver. Elle dormait sur le ventre, serrant son oreiller dans ses bras.
Elle était nue. Enfin il m'a semblé. Je voyais ses épaules, sa nuque, et je pensais deviner son sein entre elle et le coussin. La couette ne remontait pas plus haut que ses omoplates. Elle dort. Elle dort. Immobile comme elle est, elle ne peut qu'être endormie.
J'étais angoissée par ce demi-échange de regard, plus que je ne l'étais en plein braquage.
J'ai posé ma lettre sur sa table de chevet ; dans un film, je l'aurai embrassé sur le front, ou sur le bras. M'étonnant ensuite qu'elle se réveille, et on aurait eu un échange de regard d'une seconde, avant de se jeter l'un sur l'autre comme un couple passionné béni des Dieux, capable alors de passer outre tout ce qui devrait nous séparer.
Dans la vraie vie, il ne se passe pas ça. Dans la vraie vie je suis un psychopathe obsessionnel qui regarde Vanessa dormir et entre par effraction chez elle pour lui donner des lettres d'amour.
Mais je ne vais pas la toucher.
Elle dort. Si je la touche, ça va la réveiller.
Il ne faut pas.
Alors je l'ai juste regardé. En me laissant enivrer par la paix qu'elle me procure, juste en étant là. C'est grave quand même non ? Métaphysique presque. C'est incompréhensible. J'ai déjà aimé, j'ai toujours été amoureux moi. Je suis un grand sentimental, il y a toujours eu une femme, un homme, une chose dans ma vie pour m'inspirer le sentiment amoureux. Mais Vanessa, c'est un cran au dessus. Peut-être parce que j'en ai d'autant plus besoin que je vais très mal. Ou peut-être est-ce la perfection quasi-millimétrique de l'antithèse symbolique qu'est notre "relation".
J'aime les symboles.
Elle ne dort pas.
Soudain je ressentais le besoin de fuir. De fuir à toutes jambes. Les conséquences concrètes qui vont avec mes bêtises. Elle avait l'air dans un état entre le sommeil et l'éveil, immobile, muette. Mon coeur battait si fort ... j'avais peur qu'elle puisse l'entendre.
Et j'étais déchiré entre le besoin urgent de sauter par la fenêtre, et le besoin irrépressible de soutenir ce demi regard, sans taĉher de savoir si elle me voyait ou si sa paupière était simplement mal fermée.
Alors je l'ai regardée encore un peu, en m'accroupissant devant le lit ; et j'ai fait une bêtise.
Vanessa ne peut pas savoir que je sais où elle est blessée. Alors, quand j'ai utilisé mon ombre pour tirer la couette – à peine –, et contempler tristement cet hideux hématome, elle s'est mise à trembler. Quel idiot !
J'ai reculé brusquement, et je suis parti.
Vous parlez d'un courage...
Pff. Vous parlez d'une romance...
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Papillon de nuit
Narrativa generaleJe l'aie longtemps aimée, Séléné. Longtemps. C'est elle qui m'a découvert, qui m'a montré ce monde, qui m'a tendu ce pacte du diable. C'est elle qui m'a en même temps sauvé de ma misère. Enfin... disons qu'elle m'a permis de troquer une misère matér...