Ce jeudi j'ai décidé que j'allais à la salle plutôt qu'à mes CM. C'était un jour de déprime, où j'aurai eu besoin de voir Vanessa, mais maintenant elle me rappelle que Liam aurait plus de chance que moi et ça m'écorche les nerfs de me retrouver dans ce piège émotionnel.
A huit heures, j'ai jeté mon sac sur mon épaule, et je suis allé me défouler, en écoutant du Wagner à fond dans mon casque. Je ne regardais personne, contrairement à d'habitude. J'étais simplement là, à soulever de la fonte et à m'injecter de l'acide lactique en intraveineuse comme si ça avait le plus petit effet sur mes problèmes.
Mais la réalité de ma vie est que je suis seul et que je le resterai jusqu'à la fin de mes jours. Je ne mentais pas la veille, en disant que je m'en tenais au célibat parce que ma vie nocturne m'empêcherait de toute façon d'être honnête avec une partenaire.
Je ne mentais pas, quand j'écrivais plus haut que ma vie était passée d'idyllique à tragique en un instant. Je ne mentais pas, en disant que l'état de ma mère est ingérable et que je ne serais jamais tranquille avec ça. Je ne mens pas en disant que Vanessa n'est qu'un rêve, qu'une utopie que je ne toucherai jamais du doigt.
Je ne mens pas, en disant que je suis une mauvaise personne, et que je n'ai rien de concret dans la vie qui puisse me sortir de là. Mes amis sont ce que j'ai de plus précieux, avec ma mère. Mais c'est tout. Et ils n'ont aucune emprise sur ma vie. Je n'ai moi même aucune emprise sur ma vie.
Je mens, je ne fais que mentir ou me taire. Je suis invisible, ou caché dans l'ombre. Je suis une ombre en réalité.
Je n'existe pas vraiment pour être honnête.
Il est donc temps d'introduire un nouveau détail. Un détail macabre. Qui conditionne tout, absolument tout.
Quand j'avais 15 ans, longtemps après la mort de ma famille, ma mère s'est remariée. Sûrement qu'elle avait besoin de tourner la page, de se sentir mieux, d'aller de l'avant. Mais le hasard, ou les Dieux, ont fait qu'elle est allée de l'arrière. C'était précipité, soudain. En moins d'un ans elle était devant l'autel avec cet homme, dont j'ai oublié le nom tellement il a laissé sur moi une empreinte au fer rouge comme notre sang.
Ce beau-père était fou amoureux d'elle. Mais il était aussi fou tout court et moins d'un mois après le mariage, il s'est avéré être violent, manipulateur, et surtout un dealer de drogue pour riches. Il battait ma mère, et j'ai moi même une cicatrice qui l'aurait condamné facilement devant un juge. Mais il battait ma mère et lui faisait du chantage pour qu'elle ne se sauve pas. Je pense qu'il me menaçait. Mais ce n'est pas ça qui importe en réalité. Ce qui importe c'est qu'à cette époque, je maîtrisais très mal mon aptitude, et en même temps j'ai compris assez vite que je devais la cacher. Alors je faisais des crises, ces horribles crises qui me lacèrent l'esprit, et comme les adultes ne comprenaient pas ce que j'avais, mon beau père s'en prenait à ma mère en me traitant d'enfant difficile.
Une nuit, Séléné est apparue comme un mirage devant moi. J'avais 17 ans. Ma mère était tombée dans la cocaïne, je ne pouvais plus dormir quasiment. Elle était en survol devant ma fenêtre, et m'a tendu la main en me disant : "Il y a quelqu'un qui voudrait te rencontrer." Je l'ai suivie, à moitié par désespoir et à moitié parce que je pensais rêver.
Elle m'a présenté au Supérieur, dont je n'ai entendu que la voix sans jamais vraiment le voir. Il m'a tendu un contrat, que j'ai signé.
Deux soirs plus tard, un faux cambriolage orchestré par l'Ordre survenait chez moi, et mon beau-père en sortait la gorge tranchée.
Nous étions libérés de lui, et j'étais prisonnier du Supérieur.
Est-ce que je regrette ? M'a demandé Séléné. – Oui, bien sûr que oui. J'avais la force de le tuer moi même, mais j'ai délégué la tâche et résultat je sombre lentement dans une folie plus destructrice que nécessaire, pour une liberté solitaire qui n'a pas de goût, et qui est bien souvent tachée de sang.
VOUS LISEZ
Papillon de nuit
Ficción GeneralJe l'aie longtemps aimée, Séléné. Longtemps. C'est elle qui m'a découvert, qui m'a montré ce monde, qui m'a tendu ce pacte du diable. C'est elle qui m'a en même temps sauvé de ma misère. Enfin... disons qu'elle m'a permis de troquer une misère matér...