Entrée 15 : Rien à voir.
Le dix sept au soir, ma tablette s'est allumée. J'ai soupiré, la brosse à dent dans la bouche. Bizarrement, la perspective d'une telle nuit m'a fait oublier tout le reste. Pourtant je revêt mon air de Nox, et c'est lui qui s'est fait briser le cœur.
La tablette indiquait : QG 12.
Alors je me suis habillé. J'ai évité mon regard dans le miroir, et j'ai pris le temps de m'agenouiller nerveusement devant la porte de mon frigo. Ça m'arrive parfois, de tomber à genoux, de joindre les mains, pour prier une bonne étoile. Pour prier un mort. Pour appeler la bonne Fortune et le courage d'Ulysse. Je regarde la photo, je contiens une larme et je saute par la fenêtre.
Quand la tablette ne donne qu'un lieu de rendez- vous, c'est que c'est une opération de grande ampleur.
Et quand le Supérieur annonce des opérations de grande ampleur, personnellement je resserre les attaches de mes œillères, et je me prépare à devoir affronter une terrible nuit d'angoisse. Ces opérations là, en général, monopolisent une grosse partie des forces de L'Ordre. Les voleurs doivent voler, les assassins doivent tuer, les espions doivent surveiller, et les gardes font diversion. Je vous liste une hiérarchie ; les voleurs obéissent aveuglément. Les assassins obéissent aveuglément mais ont le droit de savoir pourquoi ils agissent. Les espions obéissent aveuglément mais ont le droit de savoir pourquoi ils agissent et ont le droit de punir les divisions inférieures. Et les Gardes sont les généraux du Supérieur. Ils ont un droit de vie ou de mort sur nous, décident de nos paies, de nos récompenses, de notre statut, de ce que le Supérieur pense de nous. C'est aux garde qu'il faut sucer la bite. Les assassins, on s'en méfie parce qu'ils sont instables, les espions on s'en méfie parce qu'ils sont plus savants que nous. Et les voleurs ont s'en fou parce qu'ils sont remplaçables.
Le QG 12, c'est un lieu de rendez-vous – un de mes préférés – qui se trouve dans la charpente du toît de l'Opéra de Paris. Il n'est utilisé que les soirs de concert parce que la musique des petits gens innocents en dessous nous rend discrets et que le commun des mortels pense que c'est un lieu sécurisé parce que ça brille. Alors que... on y entre comme dans un moulin.
Cruelle ironie... bref.
Le problème c'est qu'en général ce genre de mission ne donne pas droit à l'erreur, mais qu'en même temps on s'attend à être sabotés.
Tout le monde sait que le Supérieur à un ennemi juré, invisible, intracable, imbattable. Qui survient, de temps en temps quand il fait quelque chose qui dépasse les bornes. Qui sera au rendez vous ce soir, qu'on va croiser, tenter d'arrêter, mais qu'on ne pourra pas ne serait-ce qu'effleurer, parce qu'il est trop fort. Son aptitude est monstrueuse. Et même pas violente. Je ne sais pas si c'est de la télékinésie, ou une autre connerie de ce genre, mais ce monstre tord la réalité d'un claquement de doigt. Il peut – je l'ai vu faire – empêcher les Marginaux d'utiliser leur aptitude par exemple, déclencher des crises, soulever des immeubles... enfin un panel de capacité assez large et hétéroclite qui le rend à la fois insaisissable et imbattable.
Il ne s'intéresse pas aux voleurs. Il empêche les assassins et les gardes. Gardes qui, d'ailleurs, ont entre autres comme fonction principale de le buter.
Je ne m'en fais pas pour lui, pour ce que j'en ai vu depuis mes coins sombres, on ne risque pas de gagner cette guerre là de sitôt.
Bref. Un petit tour de table s'impose.
Je pense que vous aurez compris à ce stade de l'histoire que nos noms ne nous sont pas attribués au hasard. Je ne m'appelle pas Nox parce que mon pouvoir est de faire pousser des pâquerettes. Il y avait Téthys, cette connasse, puissante en toutes les manières, puisqu'elle maîtrisait l'eau un peu à la façon des personnages du dessin animé là... comment il s'appelle déjà ? Bref. Elle est méchante, et elle l'a mauvaise depuis qu'elle s'est pris un blâme pour la nuit qu'on a passé ensemble. Un espion la surprise en train de faire pression sur moi pour, disons "obtenir des faveurs". Les faveurs elle les a obtenues, mais les espions – heureusement pour moi – ont surpris toute l'histoire et j'avais encore le bénéfice du doute à cette époque, alors on m'a laissé tranquille, mais elle y a laissé une vie.
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Papillon de nuit
Fiction généraleJe l'aie longtemps aimée, Séléné. Longtemps. C'est elle qui m'a découvert, qui m'a montré ce monde, qui m'a tendu ce pacte du diable. C'est elle qui m'a en même temps sauvé de ma misère. Enfin... disons qu'elle m'a permis de troquer une misère matér...