OS . 12

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Se dégourdir le cœur . 12



" J'ai préféré m'en aller
Je préfère moi-même m'écarter
Avant que ça vienne éclater "

M'en aller, Youssoupha












- Notre amour se transforme en haine et la communication devient complexe parce que chaque fois qu'on ouvre la bouche, c'est pour s'entre-déchirer et s'accuser. On joue à celui qui hurlera le plus fort, en oubliant la première règle qu'on s'était fixé dans cet appartement : « Ici, on ne crie pas. » Convaincu que si on lâche la raison alors on perd un peu plus en dignité donc on se lance dans des bagarres d'egos qui amorcent la finalité. Alors qu'on s'était juré qu'on se quitterait jamais dans autant de douleur et de drames. Les rares fois où on communique sans s'écharper, c'est par personne interposée. Ces mêmes personnes qui nous demandaient avec admiration dans les yeux, comment on faisait pour être autant en phase. C'est vrai, comment on le faisait ? On n'y pensait pas parce que c'était une évidence, mais aujourd'hui je te supporte à peine et je crois ne pas trop m'avancer quand je dis que toi non plus, tu ne peux plus me voir en peinture. J'ai compris le vrai sens de l'exaspération toutes ces fois où tu as posé ton regard sur moi, ces derniers temps. Ces mêmes yeux, qui me disaient combien tu m'aimais sans que tu n'aies à ouvrir la bouche, me crachent un mépris qui me dépasse. Je ne te condamne pas, parce que je crois que tu dois voir la même chose dans les miens. Je ne sais simplement même plus pourquoi les choses ont pris cette tournure, mais crois-moi, ce n'est pas seulement une passade. Je le sais depuis que je regarde d'autres hommes qui ne sont pas toi et que je me demande s'ils sont célibataires. Quand ils me font des avances, je refuse, mais plus pour les mêmes raisons qu'au début de notre histoire. Avant, je le faisais par amour pour toi et aujourd'hui, je le fais par principe et respect pour ma personne. On n'a jamais été dans la catégorie des infidèles, et même si je crève d'envie de passer la nuit avec eux, je refuse que la faute vienne de moi dans cette lutte du "moi". Je refuse qu'une potentielle infidélité te donne raison devant nos amis, et c'est pour ça que je sais que je ne t'aime plus Pierre. Une part de moi voudrait qu'on se quitte en paix et l'autre, la plus terrible, souhaiterait tout détruire sur son passage, mais je la retiens autant que je peux parce que même si ce n'est plus le cas aujourd'hui, je t'ai aimé pendant presque toute ma vie. Alors je me demande pourquoi on continue cette mascarade ? Pour qui on reste encore ensemble ? Nos amis ? Nos familles ? En-tout-cas, ce qui est certain, c'est que ce n'est plus pour nous deux que l'on continue. Est-ce que si je pars ou que tu pars, j'aurai mal ou je serai soulagé ? J'ai honte de ma réponse, mais je pense que tu la connais déjà et j'ai envie de croire que tu serais tout autant apaisé par notre rupture que moi. Je ne sais pas si c'est de la lâcheté de ressentir ça, mais ce dont je suis sûr c'est que rester ensemble pour sauver les apparences est certainement le plus grand signe de lâcheté de notre part. T'en penses quoi Pierre ?

- Ce que je pense ? T'as sans doute raison, Ben ! Je ne sais même pas pourquoi on continue de s'infliger tout ça, mais moi, je suis fatigué et on a perdu malgré toutes nos tentatives. Je crois que ça faisait un moment déjà que c'était la fin, mais on a continué et c'est précisément ça qui nous a menés à une fin aussi désastreuse. On aurait dû partir, il y a cinq ans, mais on était trop buté, trop plein de fierté et embrouillé par le regard des autres qui étaient devenus si importants à nos yeux. Est-ce que je regrette que les choses se finissent comme ça ? Oui ! Parce que tu as été toute ma vie durant toutes ces années. Je veux dire, vingt-deux ans en couple ce n'est pas rien du haut mes trente-sept ans. On a réellement grandi ensemble et de toute notre vie, on n'a été qu'ensemble. Même si je me bats pour ne pas tomber dans les regrets de tous nos instants de bonheur, je me sens quelquefois amer quand j'y pense. Peut-être que c'était pour nos familles, nos amis, nos projets ou le boulot qu'on est resté ensemble ces cinq dernières années désastreuses, mais ce n'était vraiment pas pour nous qu'on l'a fait comme tu le dis si bien. J'suis crevé de ce climat épuisant et anxiogène qui règne chez nous. Avant, j'avais qu'une hâte, rentrer te retrouver, mais aujourd'hui, je préfère encore me retrouver coincé au boulot plutôt que de rentrer chez nous quand je sais que tu y es. C'est terrible, Ben ! C'est terrible pour moi de me dire que la présence de l'homme que j'ai aimé plus que tout m'exaspère tellement aujourd'hui. Je crois tout comme toi qu'il est temps qu'on arrête les frais parce qu'on ne va pas tenir si on continue comme ça.

Recueil d'OS : Les histoires de Pierre et BenjaminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant