II - partie 2

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A mon réveil, le soleil est déjà haut dans le ciel. Je comprends rapidement que je suis de nouveau perchée sur l'épaule du géant car celle-ci me scie toujours le ventre. Je laisse mon corps pendre lourdement et les pas du géant me bercer. Je me sens amorphe, vide.

Havrish m'a trouvé lorsque j'avais environ dix ans. Cette rencontre a été pour moi une deuxième naissance. J'ai cru en lui pendant ces longues années, j'ai mis mon corps et mon âme au service de sa cause. J'ai vécu ses dix années pour lui. Je refuse de croire que je n'ai été qu'un pion sur son échiquier dont il s'est débarrassé dès que je me suis montrée plus gênante qu'autre chose. Il y a forcément une autre explication.

L'espèce humaine est pourrie jusqu'à la moelle, Havrish le premier. J'ai laissé le Roi agir à sa guise avec moi toutes ces années car il est le premier à m'accepter comme je suis. Je pense être forte, suivre mon propre chemin mais au final, peut-être que je ne suis qu'une marionnette comme les autres dans les mains du Roi. Je réprime un rire nerveux.

Je hais les hommes, mais je me hais encore plus. Naïve j'étais, et naïve je suis restée. Je suis tellement stupide. Qu'est-ce qui me fait croire qu'il est différent ? Ses beaux discours, ses attentions, sa présence à mes côtés ? Quelle abrutie... Tout est là, sous mes yeux, depuis toujours. Le connaissant j'aurai dû me douter que je n'étais qu'une poussière à ses yeux. Un être incapable d'amour comme lui. Méprisant ses hommes et son peuple. Comment ai-je pu croire que je ferai exception ? Je lui ai offert une trop belle opportunité. Une orpheline, isolée et crainte de tous, j'étais une proie idéale.

Il a fait de moi un instrument, ainsi soit-il, je serai l'instrument de sa mort. Je jure de tuer tout ceux qui se dresseront sur mon chemin. Si j'ai fait l'erreur de lui faire confiance, il a fait l'erreur de me transformer en machine de guerre. Le félin en moi rugit d'impatience et crie vengeance.

Le géant a dû sentir mon agitation puisqu'il me pose doucement à terre. Il y a du progrès. Il baisse son regard sur moi et me tend le sac qu'il porte sur sa seconde épaule. Peu rassurée, j'ouvre avec précaution ledit sac. Des baies et des pommes. Je comprends qu'il s'agit de mon petit-déjeuner lorsque le géant m'adresse un hochement de tête. Sans plus tarder, les autres hommes du campement nous rejoignent. Je suppose qu'aujourd'hui on aura droit à plus de pauses qu'hier maintenant que nous nous sommes raisonnablement éloignés de l'Azurée. À la hauteur du soleil, que j'entraperçois à travers le feuillage des arbres, j'estime qu'il doit être neuf heures du matin. Connaissant les habitudes des rebelles, ils ont dû reprendre la route aux premières lueurs du soleil.

« Démon ! Alors ton petit-déjeuner te plaît ? J'espère que celui-ci n'aura pas le même futur que le dîner d'hier soir ! » se moque gentiment Barry.

Je ne lui accorde même pas un regard et mange les fruits. Je ne me laisserai plus berner par leur fausse gentillesse. Ma haine des hommes est plus forte que jamais. Rien qu'à sa vue, la bile me monte aux lèvres.

« Madame a honte ? Voyons, pas de ça entre nous ! » continue-t-il de railler amicalement.

Je continue de l'ignorer. Je n'arriverai pas à faire semblant aujourd'hui. L'homme, finalement déçu que je ne rétorque pas, finit par retourner vaquer à ses occupations.

Si Barry ne semble pas vouloir me dévoiler notre destination précise, je sais déjà que nous nous dirigeons vers la mer. Je connais la forêt bornant l'Azurée par cœur. Au plus proche de la ville, la forêt est pleine de chênes, de hêtres et de châtaigniers. Cependant, je sens que plus nous marchons plus la température se radoucie. La différence est subtile mais c'est le genre de chose qu'on remarque quand on est un félin. La forêt devient moins dense et les pins prennent l'avantage sur les feuillus. Ayant repéré un pin parasol, je visualise tous les endroits sur le continent Est où l'on trouve ce type de pin. Le continent Est étant majoritairement un pays de climat tempéré et doux, je ne vois qu'un endroit susceptible d'être assez aride pour accueillir une majorité de pins : la Baie des Aiguilles.

DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant