IX - partie 2

11 1 2
                                    

Une fois au campement, les hommes sont encore en train de s'afférer. Je décide de rester en retrait sur le côté pour m'économiser.

Une trentaine de minutes plus tard, Lenzo est de retour et le repas est prêt. Tous les hommes mangent ensemble autour du feu ce soir. Le dîner s'éternise lorsque certains commencent à chanter et à danser. L'ambiance est chaleureuse et bonne enfant. Autant dire que je ne me sens pas réellement dans mon élément.

« Capitaine Lenzo ! À votre tour, chantez-nous une chanson ! »

– Uniquement si Capitaine Démon m'accompagne, sourie-t-il fière de m'entraîner dans son bourbier.

– Impossible. Je ne connais pas de chanson.

– Vous ne connaissez aucune chanson Capitaine ? s'étonne un des hommes.

– Ne vous faites pas désirez Capitaine, chantez-nous une chanson ! rie un autre.

– Il me semble que Lubbia t'a appris quelques chansons », s'en mêle Barry.

Traître.

« Bien... Si le capitaine Lenzo n'a rien contre chanter une chanson de l'école élémentaire, je veux bien chanter avec lui... » capitulé-je lasse.

Les guerriers s'agitent semblant visiblement heureux de cette nouvelle. Lenzo et moi, nous mettons d'accord sur la chanson et vient notre tour de pousser la chansonnette. Si Lenzo semble plus qu'à l'aise, je suis totalement tétanisée. Je laisse sa voix couvrir la mienne et porte attention à sa voix. Cette dernière est envoûtante... Même pour une comptine. Pas étonnant pour un loup, je suppose.

Une fois la chanson finie, je décide de mettre un terme à cette petite soirée.

« Une longue journée vous attend à nouveau demain. Il est temps d'aller se reposer. »

Les couchages sont très sommaires. Les hommes ont apporté des feuillages de la forêt qu'ils ont posé sur les galets bordant la rivière. La nuit allait être compliquée pour ces hommes. Même si le confort du village de la Ma'Ima est sommaire et qu'ils ont l'habitude de chasser, ils emportent avec eux leurs hamacs. Ici, rien de tout ça. Juste des cailloux et des feuilles.

« Je prends la première ronde avec toi, toi et toi, désigné-je. Lenzo prendra le deuxième tour, choisis des hommes pour t'accompagner. Cirzo prendra le troisième, Mévy le quatrième, Helvie le cinquième, Edmée le sixième et Ludvo le septième ».

Mon tour de garde se passe sans encombre. Une fois achevé, je prends le soin d'aller me coucher un peu à l'écart des autres hommes. Comme à mon habitude, je ne dors que d'une oreille.

(...)

Le dortoir de la maison close est plongé dans l'obscurité. A cette heure, toutes les filles travaillent. C'est le temps fort de la nuit. Réveillée par la soif, j'arpente les couloirs pour rejoindre les cuisines. En chemin, mes oreilles captent les bribes d'une conversion. Parmi les voix, je distingue celle d'Ocarina. Ocarina est la n°1, la favorite. Ses paroles sont mêlées à des sanglots.

Inquiète, je me rapproche de la source du bruit. Je me retrouve derrière une porte entrouverte, la porte du « bureau ». Le bureau est la pièce depuis laquelle le gérant conduit son entreprise. Je ne suis donc pas étonnée de le voir par l'entrebâillement. Le gérant est entouré de deux de ses hommes et Ocarina est au sol, recroquevillée sur elle-même à moitié dévêtue.

« Pitié, je vous l'assure sur ma vie, cela ne se reproduira plus, supplie Ocarina.

– Effectivement ma belle, cela ne se reproduira plus », confirme le gérant avant de faire un geste aux deux autres hommes.

Les hommes de mains du gérant relèvent Ocarina sans ménagement, lui lie les mains et place un tissu dans sa bouche. Ocarina tente tant bien que mal de se débattre mais en vain. Finalement, les deux hommes se placent à sa droite et sa gauche pour la maintenir debout. Le gérant est caché derrière cette barrière humaine, je n'aperçois que les grosses bottes en cuire du gérant qui se rapproche d'Ocarina.

J'ai envie d'intervenir, de leur crier de la lâcher avec leurs mains dégoutantes, mais mon corps est tétanisé. Aucun son ne réussit à sortir de ma bouche. Seule ma respiration se fait plus forte. J'ai peur. Que vont-il me faire si j'interviens ?

Je suis sortie de mes pensées par le gérant qui se rapproche d'Ocarina, cette dernière se débat de plus en plus. Elle tente de communiquer mais le tissus l'en empêche. Ses épaules tressautent sous ses sanglots qui forcissent.

Tout à coup, Ocarina pousse un crie déchirant malgré le tissu qui l'empêche de communiquer. Un liquide rouge goutte doucement puis de plus en plus rapidement sur le sol. Alors que les bottes du gérant se reculent, les hommes de mains de ce dernier lâchent Ocarina. Cette dernière tombe comme un poids mort sur le sol dans une flaque de sang. Son corps est pris de soubresauts qui deviennent de plus en plus faibles. Son corps devient finalement immobile.

Je crois à une hallucination. Mes yeux sont grands ouverts. Impossible de cligner des yeux. Ma respiration est totalement coupée. Je crains qu'ils ne m'entendent.

« Cette pute a cru qu'elle pouvait s'amouracher et nous quitter ! Accrochez le corps sur la porte du dortoir, qu'elle serve d'exemple », ordonne le gérant impassible.

Je sors de ma léthargie. Incrédule, une alarme en moi m'ordonne de fuir. Mes jambes tremblent de manière incontrôlable mais me portent tout de même jusqu'à mon lit où je me cache sous les couvertures. Les larmes roulent silencieusement le long de mes joues. Ocarina n'est plus...

(...)

Je suis réveillée en sursaut par une présence que je sens venir se coucher à quelques mètres de moi. Je suis vite rassurée en reconnaissant l'odeur de Lenzo. Son tour de garde doit être achevé.

Le reste de la nuit se passe sans encombre. Au petit matin, les hommes ont le corps endoloris de cette nuit. Ils devront s'habituer. En temps de guerre, on a que rarement l'occasion de dormir dans son petit lit douillet. Ils devront apprendre à dormir malgré cela. Des hommes fatigués sur le champ de bataille sont des hommes morts.

« Bien, maintenant que vous avez mangé et que vous vous êtes débarbouillés, nous allons reprendre l'entraînement. Pour ce matin, ce sera course à pied en forêt », les informé-je.

Nous courrons environs une heure et demie à un rythme plutôt soutenu. Je vois que ces hommes ont bien progressé. De retour au point de ralliement, j'explique la suite de l'entraînement.

« Chaque chef de sous-division va diviser ses hommes en deux groupes équilibrés. Je veux qu'ils s'affrontent. Chaque combat durera dix minutes. Le premier groupe à gagner cinq fois ressort vainqueur. Prenez le temps de les corriger. Le but est qu'ils s'améliorent. C'est simple, chacun de ces hommes doit être le meilleur. »

Après quelques minutes d'organisation, les combats débutent. Lenzo et moi passons dans chaque groupe pour corriger les hommes ou pour leur donner de nouvelles techniques. L'exercice fonctionne bien.

Au bout d'une petite heure, je laisse les hommes prendre un peu de repos. Les résultats sont prometteurs. Pour le moment, les groupes sont équilibrés. Il n'y a pas de gros écarts.

DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant