V - partie 2

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Ce moment de répit n'est que de courte durée. A peine redescendue, j'ai la surprise de les trouver tous les trois à table, m'attendant avant de commencer le repas.

En y repensant, à l'Azurée, pas une seule fois Havrish ne m'a convié à manger avec lui. Bien au contraire, pour mon entrainement, je passais des jours sans manger ou bien je passais mes journées à chasser et à faire ma vie en forêt. J'étais donc bien loin de la petite maisonnée et du dîner fumant au coin de la cheminée en famille.

Je me sens alors gênée. Je n'ai pas ma place autour de cette table. Le tigre qui est mort de faim me trouve ridicule de me sentir mal à l'aise pour un tel détail. Malgré tout, mon cœur se serre. La dernière fois que j'avais eu le droit à un tel déjeuner remontait à tellement d'années. Aux années où j'étais tout ce que je déteste à présent. Une petite fille naïve, faible et pleurnicharde. Mes poings se serrèrent inconsciemment.

« Qu'attends-tu pour t'asseoir ? Le déluge ? » me taquine Barry.

Je fais les quelques pas qui me séparent de la table, tend par automatisme mon bras vers la chaise restante et m'assois. Je suis aussi raide qu'un piquet. Le malaise est si présent en moi que je sens mon pouls s'accélérer.

Je suis sortie de mes pensées par le raclement de gorge de Barry qui tend la main dans ma direction. Il attend mon assiette. Plutôt que de lui tendre, je fais comme si je n'avais rien entendu, me relève à moitié de ma chaise et me sers moi-même. Le félin lui salive d'avance en humant le parfum du gibier tout juste grillé accompagné de ses petits légumes.

« Papa, cette après-midi je peux aller au lac avec Démon ? demande Lubbia avec entrain.

– Je suis d'accord, mais encore faut-il que la principale intéressée le soit aussi », lui sourit-il.

La petite se retourne vivement vers moi un sourire étincelant sur le visage.

« Tu viens, hein Démon ? »

Son intonation me laisse plutôt penser qu'il s'agit d'une affirmation plutôt que d'une question. L'idée d'aller nager semble ravir le félin. Les tigres adorent jouer dans l'eau. En ce que me concerne, l'idée m'enchante moins. L'eau et moi nous avons un certain passif. Je saisie cependant cette opportunité pour aller laver ma combinaison et mes habits.

« Envie de prendre un bain, le sac-à-puce ? » demandé-je alors tout bas à Lenzo.

– Tu me demandes la permission pour sortir maintenant ? rétorque ce dernier sans se démonter.

– Avec plaisir », réponds-je à Lubbia en ignorant la réponse du louveteau.

L'enfant explose de joie, célébrant sa victoire.

« Mais avant ça, il va falloir finir tes légumes jeune fille », lui rappelle immédiatement Barry.

Une moue boudeuse passe sur le visage de l'enfant avant de bien vite disparaître, trop heureuse d'aller au lac. Cette conversation a au moins le mérite de faire disparaître en partie mon malaise. Lenzo et Barry discutent de tout et de rien, pendant que je mange en silence dans mon coin. Jusque-là, mon infiltration au sein du village ne se passe pas trop mal. Je n'ai pas besoin de jouer trop la comédie ce qui est plutôt agréable.

Une fois le félin et moi-même rassasiés, je m'apprête à aller laver mon assiette quand je suis stoppée dans mon élan par Barry.

« Tu ne manges pas tes haricots ?

– Non », dis-je froidement.

Cette fausse attitude paternaliste me débecte. Je vide le reste de mon assiette au fond de la poubelle et les abandonne pour rejoindre ma chambre. Peu de temps après, j'entends les petits pas précipités de Lubbia dans les escaliers. La porte s'ouvre ensuite à la volée.

DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant