VI - partie 1

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Toujours allongée sur le dos dans l'eau, je suis interrompue dans ma contemplation de l'épais feuillage s'élevant au-dessus du lac par Lenzo et Lubbia. Ces derniers ont eu la merveilleuse idée de m'éclabousser. Enfin, je soupçonne plutôt Lenzo d'avoir donné la mauvaise idée au morpion. En effet, celle-ci est ridicule à tenter de m'envoyer des gerbes d'eau car elle est bien trop loin. Lenzo, lui en revanche, m'envoie des vagues d'eau traîtresses qui me font perdre l'équilibre et boire la tasse. Le petit monstre s'esclaffe devant ce spectacle, visiblement fier de lui.

À présent de mauvaise humeur, je décide qu'il est temps de me venger. Je plonge les mains dans l'eau innocemment et commence discrètement à faire grimper la température. Je n'oublie pas que personne n'est censé être au courant de la nature spécifique de mes pouvoirs en dehors de Lenzo et la Ma'Ima. Il faut donc que je sois discrète, je sais de toute façon que Lenzo comprendra directement que cela vient de moi et cela est amplement suffisant.

La température de l'eau augmente encore et de la vapeur commencent à présent à flotter doucement au-dessus de l'eau. Je sens le regard de Lenzo pointer dans ma direction. Il est trop tard pour lui maintenant, il ne pourra pas baisser la température sauf s'il nous transforme tous en glaçons. Je jubile intérieurement et j'augmente encore la température.

La petite est écarlate sous la chaleur mais elle continue de tenter de m'éclabousser sans remarquer quoi que ce soit. Lenzo essaie lui tant bien que mal, mais il faut se rendre à l'évidence, plutôt mal, de réguler la température de l'eau. Je le regarde fixement. Il a compris que s'il essayait de libérer son pouvoir pour refroidir l'eau d'un coup, je n'aurai qu'à claquer des doigts pour rendre cette eau bouillante. Il se contente donc de maintenir une température raisonnable autour de lui et de la petite.

Je prends un réel plaisir à le voir pour une fois en mauvaise posture. Que cela serve de leçon à cet arrogant. Je suis le Démon, je ne laisse personne m'humilier de la sorte. Son regard est noir, il me foudroie. Soudain, nous sommes interrompus dans notre bataille de regard par un gémissement de la petite. Lubbia semble faire un malaise et sombre au fond de l'eau.

Lenzo n'a pas le temps de bouger le moindre petit doigt que je tiens déjà la petite dans mes bras et la ressort de l'eau. L'instinct félin a agi sans même que je ne puisse le contrôler. Mes oreilles et ma queue tigrées sont dehors, ma demi-transformation n'a jamais été aussi rapide. Sans un regard pour le cabot, je m'empresse de caler le corps de l'enfant contre une des souches d'arbres. Je me mets à prier je ne sais trop quel dieu cruel pour que l'enfant se réveille. Je veille donc sur son corps comme je peux. Lenzo tente de s'approcher mais par réflexe animal je l'empêche de s'approcher. Recule ! Le félin le considère comme une menace, il refuse qu'il s'approche du corps de l'enfant.

« Je dois refroidir la température de son corps, je te rappelle que cela est arrivé à cause de tes enfantillages, alors laisse-moi passer », m'ordonne Lenzo cassant.

Mon cœur se serre. C'est moi qui ai fait ça, c'est ce que j'ai voulu. La culpabilité resserre un peu plus son étau. Étrange, ce sentiment que je pensais avoir oublié depuis bien longtemps, se manifeste décidément beaucoup trop en ce moment. Des humains, j'en ai tué des tas et avec ce qu'il s'est passé à l'Azurée, il n'est plus question de faire preuve de sentiments. Je dois me re-concentrer sur moi-même, sur ma mission, faire abstraction des souvenirs superflus. Ce n'est qu'un microbe... Je dois arrêter de transposer mes souvenirs à l'existence de cette gamine. Elle n'a rien à voir avec moi.

J'ai beau me répéter ces paroles avec vigueur, rien à faire, je n'arrive pas à m'en convaincre. Tu te ramollis, semble me réprimander le félin. Je lui rétorque que c'est lui qui a bien failli dégommer Lenzo avec ses réflexes de papa poule quelques secondes plus tôt. Cela suffit à le faire taire et je reprends contrôle de mon corps. Je m'écarte alors du corps de la petite et laisse le cabot passer. Il se penche alors au-dessus du corps de la petite et positionne ses mains sur les siennes. Doucement, avec une précaution infinie, il utilise ses pouvoirs pour refroidir le corps de l'enfant.

DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant