Chapitre 2

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Baz

Ma nuque me faisait souffrir tant elle me tirait, mais j'avais du mal à relever la tête. J'étais si fatigué ! Alors elle pendait dans le vide, un filet de bave coulant de ma bouche. De bave et de sang peut-être ? J'avais du mal à en discerner la couleur, il faisait trop sombre dans cet entrepôt. Il y avait bien des fenêtres, mais elles étaient obstruées par des cartons. Surement en prévision de mon enlèvement. Je me mis à ricaner et le son résonna dans ce vaste espace. Mon enlèvement... Ma lente torture et ma mise à mort bientôt probablement... Connaissant Vincent, jamais il ne me laissera partir vivant, même si j'étais son propre fils. C'était dans sa nature : il était mauvais, un être sans scrupules, le vice incarné.

Un frisson me parcourut, alors qu'une image traversa mon esprit. Je me souvenais avec une précision chirurgicale de chaque nuit, chaque torture que j'avais subie dans mon adolescence. Cette pièce de l'appartement du dessus, où mon père m'emmenait sous prétexte de m'endurcir face aux tourments de la vie. Il me disait qu'il voulait faire de moi un homme, que je devais apprendre à lutter contre la douleur, contre toute sorte d'épreuves. Mais je n'étais pas dupe ! Je voyais bien au fond des yeux de mon paternel qu'il y avait quelque chose de plus. Quand il me faisait saigner, lorsque ce liquide chaud se répandait sur le sol, il y prenait du plaisir. Ma mère était morte en me mettant en monde, je n'avais plus que mon père comme famille. J'avais alors lutté tant bien que mal contre la folie, me raccrochant à l'idée que je m'imaginais des choses, que mon esprit me jouait des tours et que Vincent, malgré tout, était un être qui au fond de lui m'aimait, même si ce n'était qu'un tout petit peu.

Malheureusement, à l'instant où, à vingt-cinq ans, j'avais hérité de mon don de mentaliste, je l'avais enfin entendue, cette horrible et laide vérité, cette affreuse noirceur dans son cœur. Alors à ce moment-là, j'étais devenu sorcier, mais aussi orphelin. Car plus jamais il ne pourrait aimer ce monstre. Je m'étais fait deux promesses que j'avais tracées symboliquement sur un papier avec mon sang, celui que Vincent affectionnait tant faire couler. Puis je l'avais regardé bruler avec émotions. La première était de ne plus jamais lire dans son esprit par crainte d'en perdre la raison. Et la seconde avait été si limpide qu'elle m'avait arraché un sourire en l'inscrivant : un jour je me vengerais et le tuerais de mes propres mains.

Je trouvai la force au fond de moi de lever la tête vers le plafond de cet entrepôt et éclatai de rire, les larmes coulant sur ses joues à ces souvenirs. Et me voilà encore à sa merci ! Vincent m'avait une nouvelle fois attaché, m'avait de nouveau asservi. Il ne m'avait pas fait assez souffrir toute ma jeunesse, qu'il m'avait donné en pâture à son meilleur pote Bastien le psychopathe. Et la cerise sur le gâteau : à mon cousin, nouvellement transformé en sanguin à son tour.

— Bande d'enfoirés ! hurlai-je, la bouche barbouillée de sang, tremblant de nerfs.

Respirant bien trop vite, j'avais du mal à assembler mes idées. J'essayais de me concentrer sur les mouvements de ma cage thoracique pour les apaiser, tout doucement. Allez Baz, calme-toi bordel ! Est-ce qu'ils allaient tenter de venir me chercher ? Bon sang ! C'était sûr, ils allaient le faire ! Je serrai les mâchoires en basculant de nouveau ma tête droite, fixant l'immense porte de l'entrepôt qui servait au déchargement des camions, où étaient plantés une bonne dizaine de gardes aux yeux violets, brillants dans le noir. Ils étaient trop loin pour que je les entende, que ce soit par les oreilles ou dans mon esprit. Au moins, j'étais un minimum tranquille avec moi-même ! Mon pouvoir était un don autant qu'une malédiction. Chaque jour, je devais lutter contre ma folie et celle des autres. Ma vie m'avait rendu aussi borderline que l'humanité tout entière. J'avais découvert, au fur et à mesure des années, que je n'étais pas le seul barge sur cette planète. Je crachai du sang au sol et souris à cette idée, repensant à la multitude des fous qui avaient croisé ma misérable existence. Jusqu'à ce jour, où elle était arrivée.

LES AFFRANCHIS - T2 : L'équilibre. 🔞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant