Chapitre 2

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Le lendemain, un jeune homme arrivait dans le hall de l'aéroport chargé de deux grosses valises et d'un sac de toile d'un rouge usé. Avec son air un peu perdu (et son T-shirt moulant), il était suffisamment craquant pour que les femmes se retournent sur son passage. Regardant sa carte d'embarquement, puis tout autour de lui, il finit par se diriger vers une porte sur sa gauche. Le contrôleur d'embarquement regarda sa carte, secoua la tête, puis lui indiqua une autre porte, à l'opposé. Le jeune homme, tout encombré de ses bagages, se mit en marche maladroitement, essayant de courir sans pour autant y arriver. Il trébucha plusieurs fois sur sa plus grosse valise tirée par des roulettes, se cogna dans l'autre en essayant d'éviter les meurtrières roues de la première, et finit inévitablement par s'étaler de tout son long sur le carrelage du hall de l'aéroport. Heureusement pour lui, une gentille hôtesse de l'air qui l'observait depuis le début et pouffait doucement derrière sa main devant ses tentatives infructueuses pour se dépêcher eu pitié de lui, et s'avançant, elle l'aida à se relever avant de l'accompagner vers le dépôt de bagages, puis vers la bonne porte d'embarquement.

***

Nael s'affala enfin sur son siège et soupira bruyamment. Ce n'était pas sans peine qu'il avait enfin réussi à pénétrer dans l'avion qui l'amènerait à destination. Le jeune homme n'était pas du genre à se précipiter dans ses décisions, totalement contrairement à son père...

Seulement, dès que son fils avait donné son accord, Darvin avait foncé sur un autre téléphone pour lui réserver une place (en première classe s'il vous plaît !) dans le prochain avion en partance pour ce petit pays de l'équateur où se déroulaient les recherches, et n'avait laissé à son fils qui avait le tournis devant tant d'agitation que 12 heures pour préparer ses bagages et, opération délicate, prévenir sa mère. Et il avait raccroché en lui souhaitant bon voyage. Alors Nael, fermant les yeux, avait établi en vitesse un programme des choses à faire dans l'ordre pour que tout loge en 12 heures, enfin plutôt 11 sans compter le trajet pour l'aéroport, et avoir au moins un peu de marge, parce que, au fond de lui, il savait bien que il n'y arriverait pas en 11 heures.

Cela donnait : d'abord aller chez le médecin en vitesse pour vérifier ses vaccins, ensuite faire ses bagages, puis faire les boutiques pour réunir les 100 petits trucs dont on a besoin en voyage, et qui plus est dans la jungle, comme une lampe torche, un couteau suisse, du répulsif contre les insectes de tous genres, et... plus de peinture, de nouveaux pinceau et un nouveau carnet de croquis, il avait fini le sien le matin même dans le parc, en croquant un chihuahua tenu en laisse par une mémé qui était en train de traquer un papillon (le chien, pas la mémé, hein ! Et quand je dis « croquer » c'est faire un croquis, parce que sinon, heu...)...

En plus Nael voulait tester sur les animaux équatoriaux de nouveaux styles de peinture. Et quand tout cela serait fait, et bien il faudrait prendre son courage à deux mains et aller voir sa mère. Nael espérait qu'en la mettant devant le fait accompli, et en lui expliquant ses motivations, elle arriverait à se retenir d'étriper son ex pour avoir avancé cette idée farfelue d'envoyer son fils unique participer à une de ses traques sadiques d'un pauvre animal sans défenses. En fait, Madeline, bien que stupéfaite et bouche bée devant l'audace de Charles d'avoir demandé à son fils de partir à sa place avait intégré le fait que son fils était maintenant un adulte, et qu'il savait ce qu'il faisait. En gros, elle lui faisait confiance, et elle lui dit, en le serrant une dernière fois dans ses bras, car malgré son programme ordonné et sa nuit quasi blanche, il était presqu'en retard pour attraper le taxi qui l'emmènerait à l'aéroport, et les derniers mots de sa mère qu'il entendit furent : « ...je suis fière de toi ! Fais attention ! »

Ainsi, quand l'avion décolla, Nael put enfin réfléchir un peu. Sans la gentille (et jolie) hôtesse de l'air, il aurait été condamné à louper son avion, et il la remercia en pensée. Ses pensées commencèrent à vagabonder, et juste avant de s'endormir, épuisé, il pensa que deux mois, c'était long.

Et qu'il ne savait absolument pas ce qui l'attendrait à l'arrivée.

***

Le vieux jet un peu rouillé atterrît sur la piste d'atterrissage s'enfonçant dans la végétation dense de la jungle qui se frayait un passage et combattait vainement l'avancée de bitume de la civilisation. Les moteurs ronflèrent un moment avant de ralentir en toussotant. Puis, la porte de la carlingue, qui devait avoir été recouverte de rouge et de blanc éclatants dans un passé lointain, s'ouvrit, et Nael sortit à l'air libre. Il fut immédiatement pris à la gorge par la chaleur suffocante de l'endroit. Certes, depuis qu'il avait quitté les zones tempérées, la chaleur était intense, mais jusqu'à maintenant elle était supportable ; Nael n'étant pas hypersensible à la température, il lui arrivait très rarement d'avoir trop froid ou trop chaud. Mais ici, sous les grands arbres semblant vouloir étouffer les imprudents qui osaient s'aventurer en terre inconnue, l'air était si chargé de chaude humidité que l'on avait la réelle impression de manquer d'air, comme si la chaleur avait fait évaporer l'oxygène.

Nael tira sur son T-shirt kaki pour faire passer un peu d'air entre sa peau et le tissu. Il descendit les marches branlantes du zinc et récupéra ses bagages dans la soute ouverte par le pilote indigène du vieux jet. Puis il se dirigea vers les cahutes de bois et de toiles s'étalant à la lisière de la forêt. Une jeune femme brune aux cheveux coupés à la garçonne attendait là, le visage mangé par d'énormes lunettes de soleil. Elle se tenait campée sur ses deux jambes, les bras croisés. Nael, observateur, compris qu'elle l'attendait, et depuis trop longtemps à son goût. Résultat, elle semblait passablement agacée. En effet, lorsqu'il arriva à sa portée de voix, elle lança sèchement :

- La ponctualité, ce n'est pas pour les cochons, gamin !

Nael grimaça. Elle avait du culot, elle était à peine plus âgée que lui, enfin à ce qu'il voyait. Et s'il y avait une chose qu'il détestait, c'était de se faire traiter de gamin par des inconnus. Levant son poignet lentement, comme pour la provoquer, pour voir sa montre, il fit :

- 15h26. Et je vous avais dit que j'arriverais vers 15h. C'est plutôt pas mal je trouve, étant donné que je ne pouvais pas trop savoir.

Elle grimaça une moue dédaigneuse et rétorqua :

- Mais je viens de perdre près d'une demi-heure à t'attendre. Une demi-heure ! On est déjà surbooké, et je viens de perdre une demi-heure que j'aurais mieux fait d'occuper à autre chose. Ce n'est pas un accueil pour touriste, ici, met-toi bien ça dans le crâne.

En son for intérieur, Nael s'insurgea. Il était en train de se faire gronder comme un gosse qui a fait une bêtise ! Mais il s'aventurait en terre inconnue, et il ne pouvait pas se permettre de se faire une ennemie de la première personne qu'il rencontrait ici. Alors, ravalant son antipathie, il essaya de sourire et tendant la main :

- Pardon de vous avoir fait perdre votre temps. Je suis Nael Darvin, enchanté de faire votre connaissance.

Elle considéra un instant la main tendue, enfin sûrement, vu que les verres teintés cachaient presque entièrement ses expressions faciales. Puis un large sourire franc étira ses lèvres et elle saisit la main et la secoua vigoureusement :

- Pas de problèmes, je suis désolée, mes collèges me rabâchent à tout bout de champs que j'ai un fichu caractère, et comme on est toujours à fond en ce moment, ça empire, il va falloir que tu t'y habitue si tu restes ! Bienvenu Nael, je suis Katy-Lynn, mais fais comme tout le monde s'il te plaît, et appelle-moi Kat. Suis-moi, on a un programme chargé !

Wild CreatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant