Chapitre 14

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Le soleil, poursuivant sa course sans se préoccuper du monde se couchait lentement sur l'horizon, caché depuis longtemps par la végétation. Doucement mais inexorablement, la nuit s'installait. Les oiseaux diurnes se taisaient, remplacés par les nocturnes. Les petits animaux se réfugiaient dans leurs tanières, blottis les uns contre les autres, se préparant à dormir. Pourtant, dans la lumière déclinante, les deux jeunes gens n'avaient pas bougé. Jetant un coup d'œil à sa protégée, Nael vit qu'elle avait fermé les yeux et froncé les sourcils, comme pour se concentrer. Baissant les yeux vers sa blessure, il vit qu'elle avait arrêté de saigner. Il en était heureux, car il ne savait pas s'il aurait pu se retenir encore longtemps. La couleur écarlate s'estompait maintenant de sa rétine, et il était reconnaissant à la jeune femme de lui fournir un autre sujet à penser. Le fait que le sang ne coule plus, c'était plutôt bon signe non ? N'y connaissant rien en médecine, il ne pouvait pas vraiment se faire une idée précise de l'état de la jeune femme autrement que sur ses observations. Elle avait repris des couleurs, et son visage n'était plus de cette couleur grise de fantôme. Mais pour le reste, il ne pouvait rien dire, dans la luminosité déclinante, il ne voyait plus que des ombres, et devinait plus qu'il ne voyait sa voisine. Soudain, il frissonna. Tant qu'il y avait eu le soleil pour le réchauffer de ses rayons, être torse nu ne l'avait pas dérangé. Mais avec la nuit, l'air se refroidissait de plusieurs degrés, et sa peau nue se couvrait à présent de frissons, qu'il essayait tant bien que mal de réprimer. Comme lisant sans ses pensées, la belle inconnue ouvrit les yeux et se tourna vers lui. Puis elle se leva sans effort et d'un geste, l'incita à faire de même. Inconsciemment, il se mit à lui parler comme si elle le comprenait :

- Ça va, tu veux de l'aide pour marcher ? Mais... attends ! Où tu vas ?

Il se précipita derrière elle comme elle faisait mine de s'éloigner. Mais il avait compté sans l'obscurité qui lui jouait des tours. Il trébucha contre quelque chose de dur et s'affala de tout son long. Se retournant, la jeune femme lâcha une sorte de petit rire moqueur vite étouffé. Un peu vexé mais décidé à ne pas la pousser à s'enfuir encore une fois, il lui sourit et fit mine de rire de lui-même. Si elle s'était un peu décoincée, il pouvait peut-être tenter d'en savoir plus sur elle...

- Je m'appelle Nael. Nael. Et toi ?

Comme elle se taisait, il répéta sa question avec des gestes. L'observant attentivement, elle ne répondit pas plus. Il allait se répéter une troisième fois quand elle lui saisit le poignet et se remit à marcher, le trainant derrière elle, et s'enfonça dans la végétation dense de la jungle. Pour faire bonne figure, il continua de lui parler, lui demandant où ils allaient, comblant le manque de conversation de sa compagne par des mots inutiles. Ils marchaient depuis quelques minutes quand elle se retourna vers lui, le visage furibond.

- Tzé sé tu !

Son doigt en travers de ses lèvres lui fit comprendre qu'il valait mieux qu'il se taise. Ils repartirent, Nael se laissant guider par sa belle indigène. Le trajet lui parut incroyablement court, mais peut-être n'avait-il plus vraiment la notion du temps, car il n'avait fait qu'admirer le mouvement de la chevelure argenté qui ondulait devant lui, couvrant entièrement le dos de sa guide, ainsi que ses longues jambes fines et ses tatouages, ou du moins ce qu'il pouvait en voir, à s'en faire mal aux yeux. Il s'émerveillait de sa capacité à marcher sans bruit, car tout ce qu'il entendait était le son de ses propres pas - qu'il essayait de réduire le plus possible - et les bruits de la forêt autour d'eux. Lorsqu'elle s'arrêta de nouveau, il faillit buter contre elle. Puis il regarda enfin autour de lui. Et se figea, bouche bée.

Il était de retour au camp. Là-bas au loin, il voyait le feu de camp qui émettait une chaude lumière. Il se retourna pour remercier sa guide, mais celle-ci lui avait déjà tourné le dos, prête à se fondre dans la végétation. « Ah non ! Pas encore ! » pensa Nael, et il lui saisit rapidement le bras pour la retenir. Les sourcils froncés, elle se retourna, et commença à se débattre sans bruit pour échapper à la main sur son avant-bras. Mais il était plus fort qu'elle, et ne tenait absolument pas à ce qu'elle se sauve.

- Ne t'inquiète pas bon sang ! Je te laisserais partir. Mais je veux juste ton nom. Comment t'appelles-tu ?

Elle le fixa, muette. Puis, comme dans un soupir elle lâcha :

- Anatyia.

Puis d'une brusque torsion, elle se libéra, et s'échappa en courant d'une foulée ample, sa longue chevelure comme une rivière argenté ondulant dans le vent. Il ne peut faire un geste pour la retenir, gardant d'elle un léger parfum d'encens et un prénom. Il murmura :

- Anatyia...

***

- Eh mon pote, fais un peu attention ! s'exclama Kyle en reculant brusquement. Tu viens de me ruiner un T-shirt là ! râla-t-il en essuyant au mieux l'énorme tâche de sauce sur son T-shirt clair.

- Oh mon Dieu désolé ! Excuse-moi, j'étais dans la lune...fit Nael en redressant son assiette pour empêcher le reste de son contenu de s'échapper, sous le rire de ses compagnons rassemblés autour du feu.

- Oui je vois ça. Dis donc mon gros, c'est la première fois que je te vois dans cet état-là ! Ça va pas ? Depuis que t'es rentré, t'as une drôle de tête... On dirait que tu es à des milliers de kilomètres de nous ! Bon, d'habitude, tu as quand même l'air à côté de la plaque, mais jamais à ce point. Peut-être que ça ne te réussit pas de rentrer tard, hein mon pauvre petit ?

- Petit ? s'offusqua Nael. Dis donc gamin, c'est qui le plus jeune de nous deux ? Et le respect dû aux anciens, tu en fais quoi ? Eh bien, la jeunesse n'est plus ce qu'elle était !

Il s'était planté devant son ami, les mains sur les hanches. Kyle éclata de rire.

- Aaah, là je retrouve mon Nael ! Mais, sérieusement, tu ne nous as pas raconté : pourquoi tu rentres aussi tard ? D'habitude tu es là avant nous et aujourd'hui c'est nous qui t'avons attendu ! Tu t'es perdu ou quoi ?

- Ben en fait...

Le jeune peintre hésita une seconde. Que dire ? Qu'il avait rencontré une jolie indigène, qu'il l'avait sauvé et qu'elle l'avait ramené au camp avant de s'évaporer ? Le croiraient-ils seulement ? Les traqueurs avaient été les premiers à lui affirmer qu'il n'y avait pas de vie humaine dans les parages. Et il n'avait pas de preuve de l'existence de la belle Anatyia, à part le fait qu'elle avait gardé son T-shirt en bandage et qu'il était rentré torse nu. Ce qui ne prouvait rien. Il sourit.

-...oui, je me suis perdu.

Alors que ses amis se moquaient de lui à grands cris, il se fit la réflexion que de toute façon, quelque chose lui disait que la jolie jeune femme ne tenait pas à ce qu'on connaisse son existence. Sinon, elle ne se serait pas enfuie ainsi.

Wild CreatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant