Chapitre 26

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La grotte s'avérait être un tunnel, plutôt étroit et juste suffisamment haut pour que le jeune homme n'ait pas à courber la tête. Parfait pour un claustrophobe, d'autant qu'Anatyia n'avait pas pris la peine de s'éclairer, connaissant manifestement le passage par cœur, et qu'il n'avait pas le courage de fouiller à l'aveugle dans son sac pour prendre sa lampe torche. Ils avançaient donc dans le noir complet, Nael distinguant à peine le bout de ses doigts. Ils avaient quittés la lumineuse clarté de la cascade depuis un moment, quand, après environ 30 mètres de marche à couvert, ses yeux habitués à l'obscurité distinguèrent enfin une faible lueur : la sortie. Qu'est-ce qui l'attendait dehors ? Il allait maintenant le savoir. Sans essayer de se poser trop de questions, il franchit les quelques mètres qui le séparaient de l'extérieur.

Tout d'abord, la lumière l'éblouit trop pour qu'il puisse distinguer quoi que ce soit. Puis, quand il ferma les yeux pour se protéger de l'afflux soudain d'images, il entendit. Ainsi, les yeux fermés, il aurait presque pu croire être dans l'un de ses petits villages de campagne, sur une place de marché animée. Alors il ouvrit les paupières.

Il s'attendait au spectacle qui s'offrait maintenant à ses yeux depuis qu'Anatyia avait annoncé lui faire découvrir son peuple. Mais il ne s'attendait certainement pas à ce que ce peuple soit si nombreux.

Le passage aboutissait à un vaste espace ombragé, enclavé par de hautes falaises, comme si un géant s'était amusé à creuser un trou dans la roche. De grands arbres y étendaient leurs racines, cachant le ciel de leur feuillage exubérant, emplissant le sous-bois d'une irréelle lumière verte. Et dans ses arbres, s'accrochaient des dizaines d'êtres, sautant d'une branche à l'autre, si vifs que le jeune homme ne pouvait les détailler. Mais il n'y avait aucune confusion possible : il avait devant lui les congénères de sa belle indigène, son peuple. Et ils étaient des dizaines peut-être même une centaine, se déplaçant sans bruit comme la jeune femme, avec la même grâce naturelle. Les arbres étaient peuplés de nombreuses excroissances insolites, qui n'étaient pas du bois. Il comprit néanmoins lorsque l'un des individus entra dans un de ces sortes de boules que cela devait être des habitations. Quant à savoir de quoi elles étaient faites, et comment ils les avaient construites, c'était un mystère complet.

Alors qu'il observait, bouche bée, autour de lui, Anatyia s'avança, attirant l'attention de trois jeunes hommes, vêtus d'une sorte de pagne et arborant les mêmes tatouages que la jeune femme. Lorsqu'ils la virent, puis que leur regard dériva sur le jeune homme qui la suivait, la stupéfaction se peignit sur leur visage, puis la peur passa, remplacée presque aussitôt par une attitude farouche de défense. Ils levèrent leurs lances effilées presque en un seul mouvement.

« Houlà, c'est pas bon ça... »

- Laisse-moi parler, lui souffla Anatyia. Surtout ne dis rien, ça pourrait empirer les choses.

Et elle fit de nouveau face aux trois guerriers.

Celui de gauche, qui dépassait les autres d'une bonne tête, avaient de longs cheveux bruns tressés de perles et de plumes. Il apostropha violement Anatyia :

- Qu'est-ce que cela signifie ? Que fait-il ici ? Il t'a suivie ? Il ne devrait pas être là, et tu le sais !

- Paix mon frère, le tempéra la jeune femme. Il est ici sous ma protection. Je prends la responsabilité de mes actes. Avertis Shorvel de mon arrivée, je dois lui parler.

- Tu lui parleras, effectivement ! As-tu perdu la tête ? Amener un kadjé ici, à quoi pensais-tu ?

- Kurios ! Laisse-moi voir notre chef en premier, lui seul a autorité pour me poser ces questions. Que toi ou l'un de tes compagnons le fasse venir immédiatement, c'est votre ayutoon qui vous l'ordonne !

Le dénommé Kurios sembla sur le point de répliquer quand le guerrier à sa droite lui glissa quelque chose à l'oreille. Il grommela, jetant des regards chargés de méfiance vers Nael, puis d'un geste souple agrippa l'une des branches de l'arbre derrière lui, et disparut en trois sauts dans l'épaisseur de la canopée. Ses deux compagnons continuèrent de regarder le jeune homme comme s'il pouvait à tout moment leur exploser à la figure, mais ils baissèrent leurs lances, et se mirent à parler tout bas à toute vitesse en le regardant fixement.

Nael en profita pour se rapprocher d'un pas d'Anatyia et lui demanda :

- Ça veut dire quoi « ayutoune » ?

- L'ayutoon est la grande prêtresse de notre Peuple. Elle détient un grand pouvoir, car elle est à la fois guérisseuse, érudite et chasseresse. Seul le chef peut avoir autorité sur elle.

- Et...c'est toi ?

- Tel est mon rôle, en effet.

Sans le vouloir, Nael se sentait impressionné. Il n'aurait jamais pensé que sa belle indigène serait une personnalité importante chez elle. Il voulut lui poser une autre question, mais il fut interrompu par l'arrivée de Kurios, qui descendait de l'arbre, beaucoup plus lentement qu'il y était monté, accompagné d'une silhouette imposante.

Lorsqu'ils touchèrent terre, Nael put observer le nouveau venu. Il était grand, plus grand que la plupart des hommes que Nael avait pu rencontrer, plus grand encore que Yann, qui se vantait pourtant dès qu'il en avait l'occasion de son mètre 93. En plus de cela, il était massif, mais sa masse de muscles ne terrifiait pas, comme celle du traqueur. Cet homme devant lui dégageait une aura de force tranquille qui poussait quiconque à s'incliner, non pas de peur, mais de respect.

Il était drapé dans une sorte de cape faite de peaux tannées, et arborait une impressionnante collection de bijoux : colliers de perles et de plumes et bracelets teintaient à son cou et à ses poignets. Cette profusion de breloques fit que Nael ne prêta pas tout de suite attention au visage de l'homme. Sa peau cuivrée était burinée par le soleil et les années avaient creusées de profonds ravins autour de ses yeux. Cette figure empreinte d'une sagesse sans âge avait quelque chose de troublant. Il comprit quoi quand il plongea son regard dans le sien : d'un extraordinaire bleu translucide, il faisait presque mal aux yeux qui les regardaient. Mais ils fixaient un point dans le lointain, invisibles pour les autres. Le vieillard, dont les cheveux argentés rappelaient ceux d'Anatyia, était aveugle.  

Et de deux!

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