Chapitre 32

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L'arhéa d'Anatyia faisait le triple de la taille de celle de Shorvel, ce qui pouvait être étonnant du point de vue hiérarchique... mais absolument pas lorsque l'on voyait le fatras qui s'y entassait. Partout où il posait le regard, Nael repérait de nouveaux objets, pour la plupart totalement inconnu à ses yeux. Il y avait aussi toutes sortes de marmites, chaudrons et autres récipients, des flacons remplis de liquides bizarroïdes, et des peintures un peu partout sur les murs et le plafond. Une vrai chaumière de magicien. Il s'attendait presque à voir des crapauds entiers flotter dans des bocaux rempli d'un liquide jaunâtre gazeux. Mais l'atmosphère de cette pièce n'avait rien de menaçant, bien au contraire, elle était chaleureuse et confortable. Juste un petit peu...bon d'accord, très mystérieuse.

Et au milieu de tout ce bazar, la jeune ayutoon semblait se repérer parfaitement. Elle soulevait un bocal en terre, se mettait sur la pointe des pieds pour saisir un objet qui se cachait derrière, puis tournait sur elle-même pour prendre autre chose sur l'étagère d'en face, en murmurant pour elle-même des mots sans rapport entre eux.
Pendant ce temps, planté au milieu de la pièce, Nael n'osait pas bouger. Avec sa maladresse caractéristique, il lui semblait que s'il faisait un pas de plus, il renverserait forcément quelque chose.

Finalement, Anatyia posa toutes ses trouvailles sur une table basse et lui fit signe d'approcher.
Avec toute la prudence dont il était capable, le jeune homme la rejoignit, et s'accroupit sur les talons face à elle.

- Anatyia, en quoi consistent exactement les tatouages que tu veux me faire ?
- Tu as déjà dû les remarquer. Presque tous les Stylis les portent, à l'exception des bébés, sur le corps et le visage.

Elle désigna sur son visage les nombreuses bandes blanches.

- Ils représentent bien les rayures de ta forme féline, c'est ça ?
- C'est ça. Les tsîndales nous reconnaissent en tant que métamorphes. De plus, plus tu en as, plus cela signifie que tu peux te transformer.
- Comment ça ?
- Eh bien, tu as peut-être remarqué qu'Ilyss, la petite Stylis que tu as soignée l'autre jour, avait un corps et une tête de félin, mais des mains et des pieds humains ?
- Oui, et alors ?
- Alors tous les Stylis n'arrivent pas à ce stade de transformation. Certains ne peuvent transformer que de petites parties de leur corps, par exemple la queue, les oreilles et les griffes. Et plus l'on peut transformer son corps, plus l'on a de tsîndales.
- Ah d'accord. Mais alors,  je ne devrais pas en porter, puisque je ne peux pas du tout me transformer.
- Oui. Mais à vrai dire, pour nous, ces tatouages représentent surtout le courage et la fidélité au Peuple. Si tu en porte un minimum, mes semblables te reconnaitront comme l'un des leurs, et tu pourras aller et venir librement. En théorie.
- En théorie, répéta-t-il. Et sinon, continua-t-il en regardant les bras  et le visage de la jeune femme, toi tu en as beaucoup. Ça signifie donc que tu peux transformer beaucoup ton corps, non ?  
- Moi, je fais partie des très rares individus qui les possèdent tous : je suis la seule de tout le Peuple à pouvoir me transformer intégralement en tigre. C'est d'ailleurs ce qui m'a valu le poste d'ayutoon.
- D'accord...
- Bien, s'exclama-t-elle. Alors, on commence ?
- Attends, attends. Il y a quand même un problème.
- Lequel ?
- Si je me balade tout d'un coup au camp avec ces tatouages sur le visage ou les bras, ça se verra tout de suite ! Et eux, il vaut mieux qu'ils ne les voient pas...
- Ah je vois.

Elle réfléchit un moment.

- Il te faut donc quelque chose que les Stylis voient tout de suite, mais que tes amis ne voient surtout pas. Je crois que j'ai une idée.

***

Nael serra les mâchoires de toutes ses forces. Il ne voulait même pas regarder, de peur de pousser un gémissement. Ce n'est pas que cela faisait affreusement mal, il avait déjà connu pire, mais la sensation de démangeaison était terrible, comme si quelque chose se traçait son chemin sous sa peau, et il luttait pour ne pas enfoncer ses ongles dans sa peau pour se gratter jusqu'au sang.

- Ne bouge pas, lui intima Anatyia, les yeux rivés sur son ouvrage, très concentrée.

Alors il s'efforça de penser à autre chose.

« Tiens, qu'est-ce que représente cette peinture sur le mur ? On dirait... un champ de coquelicots. Ou alors, ce sont des champignons géants rouge et blancs...Aïe, j'ai tellement envie de me gratter... Non, non, non ! Je ne pense pas à ma peau, je pense à... euh... ce bol en terre cuite, j'aime bien sa forme, tout rond, comme ça... Rhaaa ! C'est horrible !! »

En fait, il n'arrivait pas à dire si cette méthode de tatouage était révolutionnaire ou complètement archaïque. A part la douleur et les démangeaisons, ça fonctionnait plutôt pas mal : la jeune femme avait commencé par le peindre avec une espèce de peinture noire visqueuse aux endroits où apparaitraient les futures bandes blanches. Lorsqu'elle avait été satisfaite du résultat, elle lui avait fait boire une mixture au goût improbable et indescriptible, et lui avait ensuite interdit de bouger ne serait-ce qu'un muscle le temps que la peinture sèche. Il avait donc attendu près d'une demi-heure immobile avant qu'elle ne lave la pâte qui avait mystérieusement perdu sa couleur, et commence à lui frotter énergiquement la peau à l'aide d'une sorte de grattoir. Et depuis, la sensation était horrible. Loin de soulager ses démangeaisons, le grattoir les accentuait, et il soupçonnait aussi la potion qu'il avait avalé d'y être également pour quelque chose.

- C'est bientôt fini ?
- Quoi, tu ne supportes plus la douleur ? le railla Anatyia.
- C'est pas ça, mis il va falloir que je rentre bientôt, mes amis vont s'inquiéter. En plus, la nuit doit être en train de tomber, et tu m'as dit de toujours être de retour au camp avant la nuit, donc...
- Menteur ! sourit-elle. D'abord, tu as encore le temps avant le coucher du soleil, il y aura de la lumière encore un moment. Et en ce qui concerne la nuit, j'ai surtout dis ça pour te protéger des autres Stylis. Comme nous sommes plus puissants la nuit, j'avais peur que tu ne fasses de mauvaises rencontres...
- Mais je croyais que tu m'avais dit que vous étiez pacifiques !
- Oui, bien sûr, mais les guerriers ont ordre de ne surtout pas laisser entrer un étranger dans notre périmètre de chasse, qui change tous les jours, pour ne pas mettre les femmes et les enfants en danger. Et tu es tellement fouineur que tu aurais pu faire une gaffe si je t'avais laissé faire à ta guise sans te faire un petit peu peur...
- Mais alors, maintenant que vous m'avez accepté, je peux me promener la nuit sans danger !
- Eh, doucement l'aventurier ! D'abord, nous ne sommes ni le seul « danger » de cette jungle, ni le plus grand. Et ensuite, je suis encore la seule à t'avoir accepté, comme tu dis. Ce n'est pas encore gagné.
- Mais votre chef m'aime bien lui aussi, non ?
- Oh, mais ça c'est parce que je lui ai parlé de toi. Et même s'il ne t'a montré aucune hostilité, il n'a pas encore décidé s'il pouvait te faire confiance ou non. Tu sais, il est très prudent et sage, et c'est grâce à lui si le Peuple est encore en vie.
- Dis donc, tu as l'air de bien le connaitre.

La jeune femme arrêta de lui frotter la peau et lui fit face.

- Normal. C'est mon père.
- Ah.

Et une pièce de plus à ajouter au puzzle compliqué de cette histoire...

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