Chapitre 5

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Après avoir réussi le miracle de faire tenir toutes ses affaires dans sa niche en se laissant de l'espace pour pouvoir dormir, Nael décida de faire le tour du campement, en partie pour se dégourdir les jambes, et aussi parce qu'il était plutôt curieux de faire la connaissance des autres membres de l'expédition.

Le camp s'étendait sur plus de 400 mètres, aussi, sans son sens de l'orientation, il se serait vite perdu. Au bout de plusieurs allers et venues entre les périphériques, et le centre du campement avec la tente de séjour qu'il avait tout de suite repérée, il finit par se faire une carte assez précise du camp. A l'ouest, là où se trouvait sa tente, coincée entre d'autres semblables, se trouvait les habitations, ou en tout cas le coin des tentes de repos. Il y en avait une bonne trentaine, toutes aussi basses, aussi kaki, bref, un coin très militaire. Juste à côté, on avait construit des espèces de grands bâtiments de tôles ondulées. A ce qu'il avait compris, c'était les baraques de ravitaillement, où l'on entreposait la nourriture dans des espèces de frigos énormes. Collé à ces entrepôts de tôles il y avait la cuisine d'où s'échappait de bonnes odeurs lorsque la porte s'entrouvrait pour laisser passer une personne qui la refermait aussitôt. Ce bloc de parpaings avait des allures de cube et tranchait avec sa couleur gris clair. Plus loin, à l'est du camp, il y avait des espèces de tentes carrées et qui avaient l'air bien plus solide que celles d'habitation. Nael avait compris en voyant des gens affairés autour d'elles porteurs de lourds appareillages qui ressemblaient des fois à des microscopes que c'était le quartier des scientifiques et de leurs expériences. Quant aux autres baraquements, ils étaient si similaires les uns aux autres que le jeune homme n'avait pas réussi à déterminer leur utilité. Mais il avait bien vu que tout autour du camp, on avait disposé des détecteurs et que des hommes armés se relayaient pour surveiller en permanence les fourrées. Rien ni personne ne devait perturber le fonctionnement du camp, et Nael n'eut aucun doute qu'un étranger n'aurait jamais pu entrer sans être vu et arrêté. Tout comme les animaux.

***

Nael est allongé dans sa petite tente dont les murs l'oppressent par leur étroitesse, les mains croisées derrière la nuque. Pensif, il se remémore le repas du soir. Kat l'avait aussitôt pris sous son aile, et l'avait présenté à ses collègues informaticiens. Ainsi, il avait fait la connaissance de Stanislas Henbrings, alias Stan, un jeune type lunatique et renfermé qui l'avait salué d'un bref hochement de tête avant de retourner à son assiette. Et le dernier des trois informaticiens s'appelait Andrew Sturge, un cinquantenaire barbu avec un sourire paternel et une conversation volontaire mais limitée. Il s'était assis avec eux, mais le dîner lui avait paru interminable car pendant que les informaticiens parlaient entre eux de choses incompréhensibles pour lui, il resta silencieux, observant l'assemblée rassemblée parlant dans un brouhaha diffus. Son malaise grandit lorsqu'il se rendit compte que l'on le regardait. Plusieurs groupes discutaient en le fixant et en le pointant du menton. Aucunes intentions hostiles, mais une sorte de malaise permanent l'avait envahi. Il n'était pas à sa place parmi eux, un étranger.

Lorsqu'il avait essayé d'en toucher deux mots à Kat, elle ne l'avait pas compris, et s'était moquée de lui gentiment. Et maintenant, seul, enfermé dans cette petite tente qui l'empêchait de respirer et de voir le monde extérieur, il se persuadait que ce n'était qu'une impression, ou en tout cas que cela ne durerait pas, et que les membres de l'expédition l'accepterait. Après tout c'était son premier jour ici ! Pas la peine de précipiter les choses !

Soudain, il se mit à angoisser. Il étouffait dans cette tente, ce n'était plus possible, il devait sortir ! Il se releva à l'aveuglette, enfila un T-shirt et un pantalon en se cognant contre les pents de toile, se tortilla pour mettre ses chaussettes et ses chaussures, dut batailler contre la fermeture de la tente pour enfin sortir à l'air libre. Il inspira à plein poumons en se sentant revivre. Le jeune homme regarda autour de lui. La nuit tombait vite ici, et cela faisait longtemps que le soleil s'était couché, entrainant un ralentissement visible dans l'activité générale du camp. Maintenant, seuls les bruits feutrés de ceux qui ne dormaient pas se faisait entendre. En observant la haute cime des arbres assombris autour de lui, Nael eut envie de s'enfoncer un peu à l'écart du camp, dans cette forêt vierge mystérieuse. Il regarda autour de lui : personne. Il lui suffirait d'enjamber les fils des détecteurs sans se faire remarquer des veilleurs, et il pourrait se promener un peu...

***

La créature est recroquevillée sur elle-même. Elle se faufile silencieusement entre les fourrées, marchant sur ses deux pattes arrières, évitant habilement les branches mortes cassantes et bruyantes. Malgré la pénombre elle marche sans hésitation. Là-bas, devant elle, une lueur. Le campement de ces énervants humains brutaux et malhabiles. Cela fait longtemps qu'ils la traque, mais leurs réflexes sont si lents que c'en est drôle ! Les premiers jours, elle s'amusait même à leur échapper de justesse. Mais ils ne comprennent pas qu'ils ne l'attraperont jamais, et deviennent fatigants. Et dangereux. Car ils se rapprochent. Mais ce soir, elle veut juste les observer. Elle se courbe plus encore pour que son pelage rouge feu ne reflète pas la lumière qui émane du camp, sensé éloigner les bêtes sauvages. Contournant un veilleur qui semble s'ennuyer ferme, appuyé sur son arme, elle s'approche d'un coin du camp très peu éclairé. Soudain, elle s'immobilise. Un humain se tient à la frontière du campement, à quelques mètres d'elle. Il regarde autour de lui, comme un gosse qui va faire une bêtise. La créature se tend, tout son corps prêt à bondir au moindre geste de l'humain.

Maintenant, il semble écouter les bruits de la forêt. Et enfin, il avance d'un pas. La créature ne bouge pas, toute son attention concentrée sur le danger devant elle. L'humain fait un pas de plus, puis un autre, le regard rivé sur l'orée insondable de la forêt. Il est comme hypnotisé. La créature rouge se ramasse sur elle-même : quelques pas de plus et il la verra. Tant pis pour lui, il ne doit pas vivre.

Au moment où Nael avance le pied, sans se douter qu'une créature aux crocs effilés s'apprête à lui ôter la vie d'un coup de patte griffue, il se sent violement tiré en arrière. Déséquilibré et surpris, il recule de plusieurs pas chancelants, manquant de s'étaler par terre par la violence du choc. Tournant la tête vers le responsable, il se retrouve nez à nez avec le jeune veilleur qu'il avait aperçu faire sa ronde quelques instants auparavant. Le visage comiquement furibond, ce dernier lui jette à la figure :

- Faut-il que vous soyez fou ! Ça va pas la tête, vous voulez vous tuer ? On ne vous a pas dit qu'après le coucher du soleil, la jungle devient notre pire ennemie ? On ne peut pas survivre hors du camp la nuit, alors déjà que c'est dur le jour, ne nous compliquez pas la vie la nuit, OK ?

- Ne vous inquiétez pas, se défendit Nael, je voulais juste m'éloigner de quelques mètres, pour respirer un peu, c'est tout !

- C'est déjà trop, il y a des limites claires, ne jouez pas au rebelle en voulant les franchir, vous risqueriez votre vie. Remerciez-moi de vous avoir sauvé la vie, et retournez vous coucher, les journées sont suffisamment longues sans les nuits. Suivez mon conseil si vous voulez tenir plus de 3 jours.

Nael allait répliquer, quand derrière son jeune interlocuteur, son regard accrocha un mouvement dans les fourrées. Il eut le temps de discerner une silhouette informe, des couleurs fugaces, et plus rien. Cela suffit. Il comprit qu'ici, la nature est plus une ennemie qu'une amie pour les humains. Il remercia le garde d'un hochement de tête et regagna sa petite tente. Il s'allongea sans prendre le temps de se dévêtir. Il était préoccupé. Le mouvement insolite qu'il avait aperçu lui revenait à l'esprit. Et surtout, des couleurs l'avaient marqué. Sur sa rétine était restés gravés un incroyable rouge feu et un lumineux et profond violet.


 

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