Chapitre 18

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     Le soir même, il se rendit de nouveau à la clairière, et comme la première fois, il y retrouva une Anatyia renfermée, qui ne daignait répondre à ses questions que par des mots plus courts les uns que les autres, comme si elle était ici contrainte et forcée. Alors il changea de tactique, et chercha à la faire rire. Lui parlant de lui, de son passé, de sa venue dans cette jungle, il essaya par tous les moyens possibles de lui arracher un sourire. Puisque de toute façon, elle ne lui parlait pas, la première étape consisterait à la faire rire. Il lui parla de son père, de sa mère. Il fit un long monologue sur ses années d'université, en citant quelques anecdotes drôles dont il se souvenait. Anatyia ne souriait toujours pas, en fait elle ne le regardait même pas, si bien qu'il ne voyait pas son visage, car elle avait incliné la tête, et quelques mèches argentées tombaient comme un rideau. Pourtant, quelque chose dans son attitude avait évolué au cours de son récit. Quelque part entre la description des repas avec sa mère (qui tournait toujours en catastrophe quand elle préparait à manger, car elle ne savait vraiment pas cuisiner – ce qui était d'ailleurs héréditaire, Nael aurait été incapable de faire cuire des nouilles lui-même) et de l'une de ses gamelles mémorables (il était tellement maladroit qu'un jour, il avait réussi à trébucher dans son pied en marchant tranquillement dans une rue où il n'y avait aucun obstacle ! Et bien sûr, il s'était ramassé de tout son long sous le regard des passants moqueurs), il sentit que sa belle indigène avait changé de position. Alors qu'elle lui tournait le dos depuis le début, il l'avait senti se tourner un peu, de façon à se retrouver de trois quart, ses cheveux masquant toujours son visage. Cela l'avait poussé à continuer de parler, même si elle restait toujours, si ce n'est plus silencieuse. Mais de plus en plus curieux, il cherchait depuis un moment à voir son visage qu'elle cachait obstinément. Mais dès qu'il faisait mine de se pencher discrètement, elle semblait le voir immédiatement, et se détournait un peu plus. A un instant, lassé de ses petits jeux de cache-cache, et un peu à court d'histoires drôles sur lui, il détourna son regard de sa voisine, et jeta un coup d'œil distrait vers la rivière d'argent à leurs pieds. Un sourire apparu soudain sur ses lèvres lorsqu'il réalisa que le visage d'Anatyia se reflétait sur l'onde sans qu'elle n'y prenne attention, si bien qu'elle n'était pas sur ses gardes. Il fut si choqué de son expression qu'il s'interrompit dans son récit sans s'en rendre compte. Mais elle le remarqua, et l'expression de son visage changea aussitôt. Mais il avait eu le temps de discerner ce qu'elle voulait lui cacher depuis le début.

- Tu sais, si tu trouves que ce que je raconte est drôle, tu peux rire, je ne dirais rien.

- Je n'ai aucune envie de rire, répondit-elle violement.

- Pourtant si je ne me trompe pas, tu souriais, répliqua-t-il, amusé.

Elle se tourna vers lui brutalement, croisant son regard pour la première fois.

- Ne te moque pas de moi ! Je ne suis pas ici parce que je le veux, je ne fais que supporter tes bavardages inutiles, alors je ne vois vraiment pas pourquoi je sourirais ! dit-elle avec une mauvaise foi évidente.

Ses joues étaient rouges, comme si le fait d'avoir souri aux propos du jeune homme la gênait au plus haut point. Cela l'amusa tellement qu'il décida de continuer à la titiller.

- Pourtant tu es magnifique quand tu souris...

Les joues de la jeune femme prirent une teinte encore plus cramoisie, ses yeux améthyste se mirent à luire de colère, et elle esquissa le geste de se lever. Pourtant elle se ravisa, et la flamme dans ses yeux se teinta de malice. Elle se rapprocha du jeune homme, un sourire narquois sur les lèvres.

- Mais toi aussi tu es magnifique...On ne te l'a jamais dit ?

« Pardon ? Euh..., un instant ! »

- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? dit-il, désarçonné par ce changement d'attitude. Elle pouvait réellement devenir gentille et lui faire des compliments comme ça ?

Le sourire de la jeune femme s'accentua jusqu'à devenir une moue prédatrice.

- Mais oui...Surtout lorsque tu viens de te gameller et que tu manges de l'herbe ! Comme la première fois que l'on s'est vu, tu te souviens Nael ?

« Ah d'accord... »

- Hey ! s'offusqua-t-il. Ça, c'est parce que madame essayait de partir ! C'est de ta faute si je me suis ramassé !

Son plaidoyer ne sembla pas atteindre Anatyia, qui éclata de rire en se remémorant la chute de la veille du jeune peintre. Celui-ci en oublia un moment d'être fâché. Elle avait un rire magnifique, qu'il entendait pour la première fois. Il dégringolait, coulait comme une cascade musicale sortie tout droit de sa gorge. Il était aussi terriblement communicatif, et Nael eu du mal à se retenir de rire lui aussi. Mais il réussit à reprendre son sérieux quand elle lança entre deux éclats de rire :

- Non mais quand même ! J'ai jamais vu quelqu'un d'aussi maladroit !

Pour la faire sourire c'était gagné. Mais lui, ça commençait à le chauffer.

- Oh ça va, ça peut arriver à tout le monde, dit-il, plein de mauvaise foi, alors qu'il admettait volontiers qu'il était sûrement le plus grand des maladroits. Et toi alors, tu t'es bien épanouie comme une idiote en plein milieu de ta course !

La réplique arrêta net le rire de la jeune femme.

- Ça c'était différent imbécile !

- Et en quoi s'il te plaît ?

- En ce qu'on ne peut pas dire que j'étais au meilleur de ma forme ! Tu as déjà essayé de courir alors que tu as la tête qui tourne et que tu as l'impression de voir des étoiles, les jambes qui tremblent tellement que tu crois qu'elles vont te lâcher d'un moment à l'autre, et que tu ne vois qu'à travers un voile noir ? Tu as déjà essayé, hein ?

- Oui, une fois, dit-il sans réfléchir. J'avais la crève, mais je voulais quand même aller en cours, et j'étais en retard. Du coup, je courrais de travers et je me suis mangé un poteau en pleine face.

Il y eu un blanc. Puis les deux jeunes gens éclatèrent de rire en même temps. Peu de temps après, ils s'étaient rassis dans l'herbe et parlaient calmement comme s'il ne s'était rien passé.

Wild CreatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant