Chapitre 11 : Comment est-ce possible ?

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Ai-je bien entendu la phrase qu'il a prononcée ?

Néanmoins, à la tête de déterré qu'ils font tous les deux, je constate que je n'ai pas rêvé.

            — Je ne comprends pas Matthew, comment c'est possible ? Tu m'as dit que tu ne voyais plus ton père depuis des années !

Encore un mensonge... songé-je.

Qu'y a-t-il donc de vrai dans cet homme ?

            — C'était vrai, enfin, cela faisait trois ans que je ne le voyais plus du tout. À ce moment-là, il m'avait convaincu qu'il avait changé, qu'il ne traînait plus dans des affaires louches et c'est de cette façon qu'il était revenu dans nos vies avec Jordan. Nous nous voyions de plus en plus souvent jusqu'au jour où, alors qu'il était en voiture avec nous deux pour aller au restaurant, Jordan à l'avant, moi à l'arrière, j'ai fait tomber mon téléphone. En le ramassant, j'ai trouvé une cagoule sous le siège passager, personne ne m'avait vu, trop occupés à regarder la route, mais j'ai rapidement fait le lien. Le magasin braqué quelques jours auparavant était à dix minutes de chez mon père, il y allait fréquemment, il connaissait les lieux. Et puis, la voiture dont la plaque d'immatriculation avait été enlevé, servant à prendre la fuite, était une Twingo noire, comme lui...

Un silence s'en suit.

Au vu de la tête de Matthew, j'ai la sensation que c'est la première fois qu'il raconte cette histoire à une inconnu, ou du moins à quelqu'un d'autre que sa famille. Ce que je ne comprends pas, c'est comment nous en sommes arrivés à sa révélation, comment a-t-il pu tuer la femme que son père aimait. Néanmoins, je n'ai pas le temps de lui demander des explications qu'il reprend :

            — Et c'est là que tout a bousculé, annonce-t-il, sa voix se brisant en prononçant ses mots, une larme s'échappant de sa paupière droite.

Je n'ai jamais vu pleurer Matthew, et je sais que là, il ne se donne pas un genre, là, il culpabilise vraiment. Je sens à travers son attitude le poids qu'il ressent dans sa poitrine, le poids qu'il ressent sur sa tête. Je le sens, ça l'empêche d'avancer.

C'est ainsi que, sans réfléchir, touchée, j'agis comme je le ferais avec n'importe qui dans cette situation, oubliant qui il est, oubliant ce qu'il m'a fait, et je serre sa main droite qui est désormais posée sur la table rectangulaire de la cuisine autour de laquelle nous sommes tous les trois assis.

À ce geste, ses yeux semblent sortir de sa tête, comme stupéfait par mon geste mais je ne retire pas ma main et ajoute pour justifier mon acte :

            — Je te déteste, mais je suis également désolée pour toi. Tu peux me raconter si tu veux, ou décider de ne pas le faire...

Il sourit, d'un sourire triste certes, mais il sourit.

Je suis sûre que si ses propos n'étaient pas si graves il m'aurait déjà envoyé une pique.

Un silence s'en suit de nouveau. Un silence durant lequel j'analyse chacune de ses respirations, pensant qu'il va enfin prendre la parole. Mais, c'est après un moment qui me semble durer une éternité, tandis que j'étais persuadée qu'il allait se défiler et partir, qu'il prend une grande inspiration, se redresse, fixe un point sur le mur et commence son récit :

« Quand j'ai vu cette cagoule, et même si j'ai tout de suite fait le lien, j'avais besoin d'en être sûr. Ce n'était pas le premier braquage qui avait lieu dans notre ville, c'était au moins le dixième. C'est pourquoi, à table, quand Jordan est parti aux toilettes, je l'ai confronté. Aussitôt, son visage était devenu blême, comme si je venais de lui annoncer la mort d'un proche. Mais en réalité, c'était sa mort en qualité de paternel dans nos vies.

Chaque enfant voit son parent, en principe, comme un exemple, un modèle à suivre. Et moi, j'en était dépossédé.

Ce jour-là, j'ai vrillé. Il me semblait impossible que mon père ait pu faire du mal à ces gens, une femme a quand même dû être transporté aux urgences pour des points de sutures car il l'avait blessé avec la crosse de son arme. Je ne pouvais pas supporter de savoir que les flics cherchaient à tout prix qui était ce délinquant, tandis que moi je savais qui c'était. Pourtant, je me sentais incapable de le dénoncer, comme tétanisé, jusqu'au soir même où j'ai appris aux informations qu'un gamin de dix-huit avant avait été arrêté. Là, ce fut le détail de trop. Me taire sur les agissements de mon père était déjà invraisemblable, mais qu'un innocent aille en prison à sa place m'était insoutenable.

C'est soir-là, agissant comme mécaniquement, j'ai pris la voiture et me suis rendu dans le commissariat le plus proche pour tout leur dire. Tous les soupçons que j'avais.

Le lendemain même, à la première heure, ils intervenaient chez mon père où il vivait avec sa nouvelle femme depuis un an désormais, une femme qui, avec Jordan, aimions beaucoup, simple, drôle, serviable et très bienveillante à notre égard. Ça se voyait, quand il était avec elle, il était un homme meilleur...

Quand ils sont arrivés dans sa maison située en bordure de la campagne, sa femme, Sarah, a ouvert la porte. Mais, mon père, persuadé de pouvoir fuir, refusant de se retrouver coincé entre quatre murs, a sorti une arme par la fenêtre du rez-de-chaussée et, avant même que les policiers n'entrent dans la maison, a tiré. Pas pour les tuer, il avait fait exprès de viser à côté, mais pour gagner du temps, pour s'enfuir.

Sauf que, en riposte, l'un des policiers a également tiré, mais son tir a été détourné et a atterri en plein sur Sarah. Elle est morte sur le coup. »

Son récit est lourd, sa voix est grave, ses yeux baissés tandis que Jordan n'ose même plus le regarder dans les yeux, ses yeux également au bord des larmes.

Je ne saurais que dire après ça. D'un côté, je pourrais critiquer Matthew d'avoir dénoncé son père, mais toute personne de bon sens comprendrait son geste. Comment aurait-il pu se regarder dans le miroir toute sa vie si un innocent était allé en prison tandis qu'il savait qui était le vrai coupable. Je le sais, il ne l'aurait jamais pu.

Le pire étant que ce n'est qu'un fâcheux concours de circonstances. S'il n'avait pas dîner avec lui ce jour-là, s'il n'était pas monté à l'arrière du véhicule, s'il n'avait pas fait tomber son téléphone, si son père n'avait pas laissé traîner sa cagoule, si les flics ne s'étaient pas trompés de coupable, si ce policier n'avait pas eu sa balle de détourné, elle serait encore là.

Je comprends mieux désormais pourquoi il peut en avoir après moi. Tuer la femme que Matthew aime, lui qui a indirectement causé la mort de la sienne.

Le cœur lourd, les larmes ayant mouillé son visage, Matthew se lève et, sans un mot, monte les escaliers. Je ne l'ai jamais vu si mal, si triste. D'habitude il ne montre aucune émotion et encore moins celles pour lesquelles il a peur de paraitre faible. Alors aujourd'hui, si ses larmes coulent devant nous, c'est qu'il doit vraiment en avoir gros sur le cœur. C'est, d'ailleurs ce même cœur, me concernant, qui est touché de le voir ainsi. Je n'ai qu'une envie, c'est de le consoler. Mais mon cerveau, jamais bien loin, me rappelle aussitôt qu'il ne le mérite pas, pas après tout le mal qu'il m'a fait. Et, même si j'essaie de le mettre en pause, je le sais, je ne peux pas le pardonner, il m'a abandonné.

Nos regards désormais dans le vague, nos respirations inaudibles, comme si le moindre bruit nous serait mortel, nous ne bougeons pas. C'est après quelques minutes que Jordan ajoute :

            — S'il te plaît Elyssa, ne pars pas. J'ai besoin de toi et je n'ai pas envie de te perdre. Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose...

            — Jordan [..] commencé-je à lui répondre, n'ayant pas besoin de réfléchir plus longtemps pour prendre ma décision.

Mais il me coupe, persuadé que je vais répondre par la négative :

            — Matthew a eu des nouvelles des flics, apparemment ils ont une piste depuis que tu l'as croisé dans ton restaurant. Ce ne serait que quelques jours passés ici. Je t'en prie Elyssa, reste avec nous, je ne veux pas encore te voir entre la vie et la mort. Il n'y a qu'ici que tu es en sécurité [...].

            — Jordan, le coupé-je à mon tour tandis qu'il est en train de me déballer tous ses arguments. Je reste.

Mon détestable ex-patron (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant