Chapitre 3 : Serveuse

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— Tu as bientôt fini de ranger la salle Elyssa, ou tu comptes y passer la nuit ? me sermonne Monsieur Garcia, mon patron.

— Oui, oui, plus qu'une table et j'ai terminé, lui réponds-je poliment, ne relevant pas sa remarque.

J'ai chaud, mon front est luisant de transpiration et je me remercie d'avoir pensé ce matin, après avoir passé la nuit à ressasser les paroles de Matthew, à mettre une tonne de déodorant avant de prendre la route du travail. Le service du midi a été speed, aucune table n'est restée vide pendant plus de cinq minutes, passant mon temps entre la salle, la cuisine et le bar. Les jambes en compote, je ne sais même pas comment je tiens encore debout. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on sent que la période estivale bat son plein.

Quand j'ai enfin terminé de nettoyer puis de dresser toutes les tables pour le service de ce soir, Monsieur Garcia, alias le vieux grincheux, prend enfin ses affaires et s'en va.

—    Alors Elyssa, tu comptes y passer la nuit ? se moque en Liam, le serveur qui travaille avec moi, tandis que je passe un coup de balais, en attendant les clients de l'après-midi.

Sa voix partant dans les graves pour imiter notre boss, ce qui ne lui est absolument pas naturel, me fait exploser de rire. Heureusement qu'il est là pour me remonter le moral, j'en ai souvent eu besoin depuis que je suis ici, et il a toujours été là, dès le départ.

Si on m'avait dit qu'en déménageant dans cette ville, je finirai serveuse, je pense que je ne l'aurai pas cru. Pas que je dénigre ce métier, bien au contraire, mais me concernant ça n'a jamais été une vocation. Quand je suis venue vivre ici après la mort de Jason, j'avais quitté mon boulot de secrétaire et en ai retrouvé un dans le même temps, c'est pourquoi je ne pensais pas que j'aurais un jour besoin de changer si dramatiquement de voie. Mais la vie en a décidé autrement. Ou plutôt Matthew en a décidé autrement.

Quand j'ai reçu la lettre, je n'étais pas apte à reprendre le travail, je ne parvenais même pas encore à faire deux pas sans béquille, alors je ne me suis pas posée de question sur mon retour chez Clayton Corporation. Mais quand, un mois plus tard, j'ai appris qu'il avait changé de numéro, sûrement pour que je ne tente plus de le contacter, j'ai compris qu'il fallait que je fasse une croix sur lui. C'est pourquoi il m'était impossible de retourner travailler là-bas. Alors j'ai envoyé ma démission. Et, même sur ça, je n'ai pas eu de réponse. J'ai juste fini par ne plus recevoir ma paye pour arrêt maladie, et j'en ai déduit qu'elle avait été prise en compte.

Pourtant, je ne pouvais pas me permettre de ne plus avoir de revenus, donc j'ai cherché dans les petits bars, cafés et restaurants du coin si quelqu'un n'avait pas besoin d'une serveuse. C'est de cette façon que je suis tombée sur cette brasserie ouverte de huit heures à minuit : chez Garcia. Ce n'était pas mon métier de rêve, certes, mais il fallait que je subvienne à mes besoins, donc j'ai postulé. Le lendemain, le patron m'appelait pour un entretien d'embauche et je commençais mon premier service dans la journée. Cependant, il faut avouer qu'il m'a vite pris en grippe même si, à sa décharge, il est vrai que je n'étais au départ pas très habile de mes mains. Même tenir un plateau avec plusieurs assiettes m'épuisait et j'avais des difficultés à le tenir droit, ayant pourtant déjà été serveuse un été quand j'avais dix-huit ans. Mais cette fois-ci, j'étais enceinte, et même si mon ventre ne commençait qu'à sortir, j'étais très fatiguée. C'est pourquoi, au début je comprenais les remarques désobligeantes de Monsieur Garcia. Désormais, je me suis largement améliorée mais son attitude n'a jamais changé. Je pense qu'il me déteste tout bonnement. Mais tant qu'il me paye, il est vrai que ça ne m'atteint pas. Je reste polie, professionnelle et ne rentre pas dans son jeu, comme ça je sais qu'il ne peut rien me reprocher.

Cependant, heureusement que Liam était là. Sans lui, je pense que plus d'une fois j'aurais fait voler une assiette dans la tête de ce vieux grincheux. Oui, c'est une expression que nous avions trouvé ensemble quand un jour, il m'avait sermonné pour avoir pris la commande d'une autre table, n'ayant pas vu que les boissons de la table d'à côté venaient d'être préparées au bar. Sans le vouloir, je les ai donc fait patienter plus longtemps que je ne l'aurais dû tandis que Garcia, lui ne faisait rien, posté dans un petit coin comme un chien montant la garde. Ce soir-là, j'ai failli lui répondre qu'il n'avait qu'à « bouger son c*l s'il voulait que ça aille plus vite ». C'est vrai quoi, j'étais en sueur de courir partout tandis qu'il était là, ses cheveux gris soyeux, sa petite chemise sans aucune trace de transpiration, assis sur sa petite chaise, une bière à la main ce qui, à mon sens il devrait éviter s'il ne veut pas que son ventre ne l'empêche de passer les portes un jour. Mais, voyant que j'étais en train de perdre pied, Liam est venu à ma rescousse, prenant ma place en salle pour que j'aille me calmer derrière le bar. Je pense que sans lui, je n'aurais plus mon job actuellement.

Il est dix-huit heures quand je termine mon service avec Liam. Nous finissons toujours en même temps car Garcia a décidé de mettre tous ses serveurs en binôme et de les faire travailler aux mêmes horaires. C'est ainsi que, en attendant que le service du soir vienne nous relever, je passe un coup de détergent sur le bar. Mais, mes gestes étant rapides, j'oublie que, gênée par mon téléphone que j'avais rangé dans la poche de mon jean, je l'ai posé quelques instants plus tôt sur le côté du comptoir, si bien que dans un geste brusque, je le fais voler à travers la pièce. Heureusement, il n'y a plus personne dans la salle à cette heure, qu'un couple qui prend un café dans un coin.

Cependant, quand je me précipite pour ramasser mon téléphone, ma coque noire s'est détachée avec la brutalité de l'impact, et mon téléphone, certes miraculeusement intact, a laissé s'échapper cette photo que je gardais précieusement à l'intérieur de ma coque. La photo que le docteur Jones m'avait imprimé à l'hôpital.

L'unique photo que j'ai de lui.

Mon bébé.

Mon détestable ex-patron (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant