13 - Intime détresse

1 0 0
                                    

Je n'arrive pas à profiter de mon weekend. Jusqu'à présent, je n'ai fait que regarder ma série, les yeux dans le vague. Je ne saurais vous résumer le moindre épisode qui est passé, pourtant deux saisons entières se sont écoulées. Pour tuer le temps, je cuisine des crêpes, du cake, des meringues. L'appétit ne pointe pas le bout de son nez alors les Tupperwares s'accumulent sur le plan de travail. Rien ne me change les idées.

Pourquoi je me mets dans un état pareil franchement ? Des femmes subissent bien pire et ne disent rien. Et moi, je suis là à me plaindre et à me sentir mal pour une légère caresse par-dessus un pantalon.

Je n'ai parlé à personne de tout le weekend, ce qui ne fait qu'aggraver mes sentiments. J'aurais préféré être arrachée à ce monde le temps de passer à autre chose et d'oublier ça. Mais est-ce que je peux oublier ? Est-ce que les femmes qui ont subi des attouchements finissent par ne plus ressentir cette douleur ? Je me considère chanceuse de n'avoir vécu qu'une petite caresse, cette pensée ne calme pas mes émotions.

Je fonctionne comme un automate depuis lors, allant de mon lit à la cuisine, de la cuisine à la salle de bain et de la salle de bain à ma chambre. C'est comme si mon âme avait quitté mon corps.

Sous la douche, je frotte ma peau de mes ongles, d'une éponge, du bouchon de mon shampoing. Néanmoins, la sensation de ce contact ne m'abandonne pas. J'aurais voulu qu'elle disparaisse dans le siphon, avec le reste de mes larmes qui se confondent avec celles du pommeau.

Le dimanche soir arrive et je décide d'avaler des pilules pour m'endormir plus vite. D'habitude, je ne les prends qu'en cas dinsomnie, aujourdhui fait exception. Je refuse de passer encore une nuit à ruminer sans fin. Les effets des médicaments se font attendre, pour enfin, memporter dans un sommeil anesthésié.

*

Mon réveil sonne, il est temps de retourner à l'école, de retourner à la réalité. Cette nuit fut un long trou noir dans lequel j'aurais préféré rester. Heureusement, le message de Kaïl a semé assez de suspense en moi pour me motiver à me lever. Qu'est-ce que « ce qu'il me faut » peut bien être ?

Je sors de chez moi, mieux couverte que d'habitude afin de cacher mon corps au regard du monde. Sur le chemin, je croise quelques jeunes garçons de mon âge. Mon estomac se noue chaque fois. Ce n'est que de la paranoïa, je le sais. Pourtant, ça reste difficile. Je change de trottoir dès que je le peux, je coupe la musique dans mes écouteurs, je marche deux fois plus vite. Seul avantage : j'arrive plus vite à lécole.

Quand j'entre dans la cour, je souffle un grand coup pour me donner de la force. Noa arrive la seconde suivante et m'enlace, mes bras demeurent le long de mon corps. Je n'ai pas le courage de bouger. Elle me tend ma veste laissée à la boîte de nuit. Je l'attrape avec dégoût. Mes lèvres se retroussent en un croissant de lune renversé. Cette horreur va me ramener à l'évènement, je nen veux pas. Quand je rentrerai, je la cacherai en dessous du canapé. Et encore une fois, j'ai la sensation d'exagérer mes sentiments. Est-ce que je fais ça pour attirer l'attention ? Il faut que j'arrête de le vivre mal. Rien qu'une caresse C'est tout ce que c'était

Inquiète face à ma non-réaction, elle me jauge du regard, cherchant à déceler quelque chose qui pourrait justifier ce phénomène des plus rares.

— Maddie, qu'est-ce qui ne va pas ?

— Je t'expliquerai tout à l'heure Là, je n'en ai pas la force.

Noa me prend à nouveau dans ses bras, me serrant aussi fort que possible pour me montrer son soutien. Quand Martin et Jason arrivent, ils nous demandent comment nous allons. Encore cette question. Je leur sers la même excuse, ils me regardent avec compassion.

Le groupe démarre une conversation, mais personne n'est véritablement concentré dessus. Martin me décoche des coups d'oeil sans cesse, cherchant la moindre réaction de ma part. Je ne laisse rien transparaître. En un sens, j'ai l'impression de devoir me cacher des émotions. Comme si elles pouvaient m'attraper, me rattraper. Noa est appuyée contre le mur, affalée sur moi pour que je sente son contacte. Elle me serre contre elle. De son côté, Jason m'envoie des SMS, me disant qu'il est là pour moi, que je ne suis pas obligée de lui expliquer et qu'il me soutiendra quoi qu'il arrive. Même si je reste passive, je prends en compte chaque détail et les remercie intérieurement. Ce sont de vrais amis.

L'heure des cours survient et nous nous dirigeons vers notre salle de classe. J'ai du mal à me concentrer sur les paroles de mon professeur et je m'échappe la première lorsque la pause de midi sonne. Nous nous installons sur notre table à la cafétéria. Naïm et Aaron sont assis non loin de là. Quand Kaïl n'est pas avec moi, les deux groupes restent séparés, comme s'ils ne s'étaient jamais réunis. Ça peine beaucoup Noa, mais après tout, pourquoi serions-nous ensemble en dehors des moments où Kaïl est là ? Dailleurs, pourquoi n'est-il pas là ?

Bien décidée à trouver une réponse, je me lève et pars m'assoir à côté de Naïm. Derrière moi, les voix de mes amis se font entendre. Je n'ai pas la force de leur dire où je vais, il faut que j'aille à l'essentiel.

— Tu sais où est Kaïl ?

— Ah tiens, salut Maddie, je vais bien merci. Et toi comment tu vas ?

Je me rends compte de ma bourde. Gênée d'avoir oublié les bases de la politesse, je regarde ailleurs. Aaron en face de nous est en train de dessiner un paysage sur la table pourtant humide à cause des températures. Il a un sacré talent. Je ne m'attarde pas dessus parce que d'un coup, la lumière extérieure et le bruit des couverts dans les assiettes me fait mal aux tympans. Pourquoi tous mes sens sont-ils plus aiguisés que d'habitude ?

— Désolée, je ne suis pas très concentrée ces jours-ci

— Ça ne va pas ?

Ses sourcils se froncent, il pose une main sur mon bras. Mes amis (et les amis de mes amis, comme lui) ont compris avec le temps que j'ai un grand besoin de contact physique. Cette règle prend encore plus d'importance lorsque je vais mal, ce qui reste rare. Depuis mes parents, j'avais décidé de ne plus me laisser abattre. Du moins, c'était jusqu'à cette soirée.

— Pas vraiment, c'est pour ça que je cherche Kaïl.

— Il te prépare quelque chose, il va arriver.

Je baisse la tête, triture mes doigts et arrache une peau morte au bord de mon ongle. Voyant ma détresse, il passe ses bras autour de mes épaules. Ce câlin me fait un bien fou, mais mes larmes menacent de couler. Moi qui pensais avoir déshydraté mon corps entier ce weekend.

— Quoi qu'il t'arrive, ça finira par s'arranger, murmure-t-il.

Ce n'est pas ce que je voulais entendre, mais je hoche la tête et retourne auprès de mes amis. Je suis prête à leur expliquer. Noa serre ma main tandis que Jason et Martin me soutiennent d'un regard attendri. Ils ont coupé leur conversation sans hésiter pour m'écouter me plaindre.

— C'était vendredi à la boîte. Pendant qu'on dansait quelqu'un, je ne sais pas qui, s'est collé contre moi et il ma caressé... hum, à un endroit intime. Je ne m'y attendais pas et j'ai conscience que ce n'est rien de grave, mais cette putain de sensation reste. J'ai peur alors que je ne devrais pas. Merde ! ma voix déraille. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. Qu'est-ce que j'ai fait ?

Tous me fixent, interloqués. Martin explose et se lève de table.

— Tu as subi ça juste à côté de nous et on na rien vu ?

Jason appuie sur son épaule pour qu'il se rasseye. Alors qu'il se calme, j'observe les alentours. Des dizaines d'élèves nous observent. Je n'avais vraiment pas besoin de recevoir plus d'attention. Ensuite, Noa se tourne vers moi et prend ma tête entre ses mains. Une goutte salée campe au coin de son oeil.

— Je suis désolée qu'on n'ait rien vu. Je m'en veux, on aurait dû faire plus attention.

— Je ne vous en veux pas à vous ni à lui. Je m'en veux à moi.

Je fonds en larmes face à eux, ce qui attire de nouveaux regards curieux.

— Quest-ce que j'ai fait pour qu'il fasse ça ? Vous étiez là vous. Vous pouvez me dire ce que j'ai fait. Si j'ai maté quelqu'un, danser de façon aguicheuse, si je me suis collée à lui la première. Dites-moi ce que j'ai fait, pitié.

__________________

Le petit vote ! ;)

Te souviens-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant