15 - Les empreintes du dégoût

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— Bonjour jeunes gens. Bien remis de vos émotions de la semaine dernière ?

Une boule douloureuse s'installe dans mon estomac alors que je me remémore cette séance.

*

Amalia, comme à son habitude, dépose le présentoir de son oeuvre au centre de la pièce. Une musique théâtrale se fait entendre en arrière-plan afin d'accentuer la scène. Du Amalia tout craché. Elle invite les élèves à se concentrer et révèle sa création d'un geste précis et majestueux. Le voilage flotte derrière elle, lui donnant une allure de guerrière. Après tout, elle en est réellement une aux yeux de ses apprentis. Sur le présentoir trône un masque élégant. Il est dune couleur noir intense et est orné de dorures. Le déguisement est prévu pour ne recouvrir qu'une moitié du visage, partant d'une tempe à l'autre. Alors que le rythme de la musique prend une cadence effrénée, Amalia porte l'objet à sa figure. Les lumières autour de nous s'éteignent ne laissant qu'une unique flamme danser au centre de la pièce, illuminant notre présentatrice. Contrairement aux masques habituellement présents sur le marché, celui-ci n'autorise aucune place à la vision des iris de son propriétaire. Les ouvertures, initialement utilisées pour la vue, sont à présent recouvertes d'un tulle noir, subtilement transparent. La voix d'Amalia se fait plus intense, remplie d'une puissante éloquence.

— J'ai construit ce cache pour me protéger du regard d'autrui. Trop souvent, certaines personnes ont lu en moi pour déceler mes faiblesses et trop souvent — elle marque un léger temps de pause — elles sen sont servi pour me taillader le coeur. Alors j'ai décidé de créer un masque qui me permet d'observer le monde extérieur, mais qui interdit les individus de lire en moi. C'est ce que je vous demande de faire aujourd'hui avec « Masque ma peur ».

Ce que nous apprécions le plus chez Amalia, c'est quelle ne se contente pas de nous proposer des exercices et d'écouter nos mélodrames. Elle prend pleinement part à lactivité, avec nous. Elle nous ouvre son coeur, elle nous présente ses faiblesses et ses craintes avec toute la confiance du monde. Nous sommes tous sur un pied d'égalité ici.

Lorsque le cercle de parole se forme un peu plus tard, je dévoile un masque recouvrant non pas le visage, mais le corps. Comme Mulan, jai créé un bandage qui cache ma poitrine. Et comme Ariel, jai sculpté une queue, unissant mes deux jambes afin que plus personne ne souille ma féminité.

*

Mon estomac a été comprimé durant toute la séance, comme si des mammouths s'étaient assis dessus.

— Je vais vous demander pour l'énoncé d'aujourd'hui de vous retourner un instant. Tiens, Michael vient avec moi. Tu seras mon assistant, comme pour les magiciens.

Quand elle lance le signal, nous nous retournons à l'unisson, prêt à découvrir le projet d'Amalia. Mais ce n'est pas elle que nous voyons. C'est sa silhouette, dessinée par les courbes du drap qui la recouvre. Le tissu esquisse une légère ondulation à l'endroit où — probablement — la main d'Amalia se trouve. Michael retire alors la couverture, laissant apparaître Amalia badigeonnée de peinture. Le mouvement du garçon est bien moins gracieux que lorsque c'est notre professeure qui le fait, mais je souris pour lui offrir mon soutien il semble très mal à l'aise, là, debout aux côtés de la splendeur que représente Amalia. Après ça, Michael retrouve son tabouret, prêt à écouter les explications de l'exercice.

— Nous avons déjà abordé ce sujet, mais il me paraît primordial de revenir dessus. Je parle évidemment de nos complexes, elle exagère le dernier mot afin de bien appuyer ses propos.

Sa voix porte dans toute la salle, teintée d'une force digne des plus grands héros.

— Sur mon corps se trouvent des traces de mains colorées de rouge. Ce sont les parties de mon apparence qui me dégoûtent, que je haïs au plus profond de mon être. Ce sont des mots forts, mais parlons sans tabou.

Te souviens-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant