— Je ne comprends même pas ce que tu fais encore ici. Tu ne fais rien depuis que tu es arrivée. Tu ferais tout aussi bien de retourner chez toi.
C'est ma propre sœur qui vient de me dire ça. Elle est comme Amalia : brute de décoffrage. A une nuance près, Amalia est bienveillante. Ma soeur veut juste me surpasser, alors qu'elle est déjà en haut de la tour du respect de mes parents. Moi, je suis restée coincée au rez-de-chaussée. Elle me reproche de ne pas parler assez. Elle me reproche de me réfugier dans ma chambre (c'est-à-dire le seul endroit où je me sens bien), elle me reproche de ne pas assez travailler pour mes examens. Mais elle a raison. Je suis tout ça à la fois et bien d'autres choses encore.
Par contre, elle ne cherche jamais à savoir pourquoi je n'ose pas parler, pourquoi je m'enferme dans ma chambre et pourquoi je n'arrive pas à me concentrer sur mes révisions. Comme bien d'autres avant elle, elle se contente de regarder le résultat et non la cause. Et je trouve ça foutrement injuste. Jai l'impression que personne ne cherche à me comprendre. C'est plus facile de remballer les gens, de les descendre, de les écraser. C'est ce que nos parents nous ont inculqué dès la naissance. Je les suspecte même de nous avoir fait écouter des discours politiques à travers le ventre de maman à la place des berceuses.
Je ne tiens plus dans cette maison, j'ai l'impression qu'elle rapetisse de jour en jour et qu'elle essaie de m'écraser. Mais non, c'est juste l'atmosphère qui y règne qui m'aplatît chaque jour pour me faire prendre moins de place. Déjà que je n'ai pas la mienne ici, ce n'est pas facile.
Le soir même, j'informe mes parents que je vais devoir rentrer. J'ai un cours d'art cette semaine et je ne peux pas le rater, ce qui n'est même pas une fausse excuse mais qui me sert surtout de bouée de sauvetage. Après mon annonce, je cours à l'étage faire ma valise. J'aurais pensé que cette nouvelle me réjouirait suffisamment pour retrouver le sourire, mais ce n'est pas le cas. Je me demande à nouveau s'ils seraient là, s'ils viendraient me voir en cas d'accident. Mais au fond de moi, je suis sûre que ça ne serait pas le cas. Que je serais seule à mon réveil.
Le lendemain matin, j'attends mes parents pour partir à la gare. Ma soeur arrive face à moi, une glace à la main et me demande ce que j'attends.
— Les parents, j'attends qu'ils me conduisent à mon train.
— Ils sont partis se promener dehors. Ils ne reviendront pas avant une heure.
— Mais je vous ai dit hier que je partais à dix heures.
Elle donne un coup de langue à sa glace et je sens à travers ce geste qu'elle essaie de me faire comprendre qu'elle est supérieure à moi. C'est le genre de chose qui se ressent au-delà de se voir. C'est dans les énergies qu'elle me renvoie.
— Alors ils ne vont même pas me dire au revoir ?
— Absolument pas, dit-elle dans un grand sourire.
Avant mon déménagement, ma soeur et moi nous entendions super bien. Je ne comprends pas pourquoi elle se transforme en une version empirée de notre mère.
— Guy t'attend dehors.
Elle me claque la bise et remonte dans sa chambre pour faire je-ne-sais-quoi. Super au revoir. Mes deux parents ont déserté la maison et je suis sûre que la seule raison qui a poussé ma soeur à les suivre c'est de voir ma tête dépitée à cette annonce. Je sors alors dehors, traînant mon bagage sans délicatesse pour rejoindre le doux visage de Guy. Il me prend dans ses bras.
— Alors tu pars déjà ma petite ?
Ma petite. Qu'est-ce que ces mots peuvent être agréables. Encore une fois, il arrache mon sac de voyage des mains et le porte jusqu'au coffre. Je vois ses bras trembler en le portant et les nerfs de son visage ressortir à vue d'oeil. Pauvre Guy, il se fait vieux.
Il me parle de la pluie et du beau temps durant tout le trajet. Je sais qu'il essaie de me changer les idées. Il a toujours été comme ça. Il est comme Noa en un sens, il n'est pas doué pour rassurer alors il tente autre chose. Noa ce sont ses mains d'amour qui se posent sur les miennes et Guy se sont ses inlassables conversations additionnées d'humour. Ce qui est fascinant chez lui, cest que même l'entendre parler des feuilles qui tombent des arbres en automne est intéressant. Il arrive à animer des conversations à base de rien et à faire sonner sa voix passionnées au travers de toutes les discussions. Où est-ce les empreintes de la vieillesse qui lui donne cette voix ?
Je ne sais pas mais je l'aime bien, la voix de Guy. Quand nous posons un pied sur les quais de la gare, je le remercie grandement et je lui promets de revenir le voir. Une petite boule douloureuse vient se loger au creux de mon estomac. Et s'il partait avant que je n'aie le temps de le revoir ? Je m'en voudrais toute ma vie. Je ne suis pas prête à le voir partir. La vérité, c'est que je serais plus dévastée à son enterrement qu'à ceux de toute ma famille réunie.
Avant que je n'entre dans le train, Guy m'enlace une dernière fois et me chuchote à l'oreille une phrase que je ne suis pas prête d'oublier.
— Je sais que c'est difficile Maddie. Mais ne te laisse pas abattre par eux. Tu n'es pas obligée d'aimer ta famille juste parce que tu as leur sang dans tes veines. Fais-toi ta propre famille. Toi tu es ma famille. Je t'aime ma petite.
_______________
Ils sont difficiles à relire ces chapitres 😟 vous ressentez toute la peine que vit Maddie ?
VOUS LISEZ
Te souviens-tu ?
RomanceAlors que Maddie jongle entre ses peines de cœur, ses incertitudes et une relation familiale plus que chaotique, elle fait la rencontre de quelqu'un qui pourrait bien bouleverser tous ses idéaux. Plus le temps passe, plus ses sentiments prennent pla...