— Bonjour jeunes gens, j'espère que vous avez passé de bonnes fêtes. Il est grand temps de reprendre notre art thérapie !
Tout le monde offre à Amalia un large sourire sincère. Nous sommes tous plus que ravis de la voir et, pour les plus âgés d'entre nous, ils sont heureux d'entendre qu'ils sont jeunes. Au premier cours auquel j'ai participé j'ai demandé à ma voisine pourquoi Amalia nous appelle jeunes gens alors qu'il y a de tous les âges présents dans la salle. Elle ma répondu, fière de partager une réplique de notre mentor, que nous sommes tous jeunes dans l'âme si nous le décidons. Et si nous sommes ici, à ce cours dart thérapie, c'est que nous ne voulons pas vieillir et nous laisser écraser par la vie.
Amalia retire le drap qui voilait sa nouvelle invention. Nous y voyons une boîte décorée à la façon Amalia : des couleurs qui ne vont pas du tout ensemble, des dessins bariolés dans tous les sens, des citations qui se chevauchent les unes sur les autres. D'accord le but dans la thérapie n'est pas de se baser sur l'esthétique mais quand même. Peut-être est-ce mes anciennes tendances qui sont encore ancrées mais je refuse de faire une oeuvre qui n'est pas à mon goût. Qui n'est pas jolie, sentimentale et symbolique. Mais suite à cette pensée, je me mets deux gifles mentalement. Je juge trop vite, toujours trop vite. Guy aurait mieux fait de m'apprendre à tourner mes méninges sept fois dans ma boîte crânienne avant de réfléchir. Ce n'est pas parce que moi je n'aime pas, que ce n'est pas au goût de Amalia. Jai encore des choses à apprendre décidément.
Amalia sort de sa boîte un miroir. Tous les élèves se regardent totalement déconcertés avant qu'Amalia ne nous serve enfin son discours.
— Cette vieille boîte à chaussure a été rénovée en boîte à pardon. J'y ai placé un miroir car c'est à moi que je pardonne. Il y a quelques mois, j'ai perdu un proche dans un accident de voiture. Il devait se rendre chez moi pour un repas lorsqu'il a eu son accident. Et durant tous ces mois, je m'en suis voulu, je me disais que c'était ma faute. Si je ne l'avais pas invité, il serait encore en vie. Mais jai décidé d'enfin me pardonner. D'arrêter de rejeter la faute sur moi et non sur le chauffard qui l'a percuté. C'est ce que je vous demande de faire aujourd'hui avec la boîte dû pardon.
Elle nous liste ensuite les consignes pour que tout soit clair.
1) Prendre une des boîtes au fond du local pour la personnaliser à votre effigie. Elle doit vous représenter vous, et vous uniquement. On doit savoir quelle vous appartient au premier coup d'oeil.
2) Réfléchir à un événement récent qui vous fait du mal. J'insiste sur le récent, la blessure doit être encore ouverte.
3) Modéliser cet évènement. Peinture, dessin, sculpture, à votre guise les jeunes !
4) Lorsque vous allez placer cet objet dans votre boîte, vous devez lui pardonner. Pas de retour en arrière, c'est une promesse que vous vous faites.
Mon cerveau a arrêté de fonctionner. Lorsque j'ai entendu « évènement récent » mon esprit a mis une barrière avec la réalité. Je refuse. Amalia voit mon air renfrogné et me demande d'au moins essayer. Comme dans toutes les séances, rien n'est obligé à part d'essayer. C'est la règle dor, la seule et l'unique de ce cours. « Fais de ton mieux » ; « Juste un effort » ; « Je ne te demande pas de réussir ». Tout d'un coup, toutes ces phrases qui me rassuraient auparavant me sortent par tous les orifices. Mon regard crie clairement « JE REFUSE ». Mais Amalia à un tempérament bien plus fort que le mien. Quand je vois que lorsqu'elle hausse le ton, tous les visages se tournent vers nous, je décide de me calmer. Je ne veux pas attirer l'attention, j'en ai déjà fait lexpérience et très peu pour moi.
Alors je m'avance vers le fond de l'atelier tandis que les sabres dans mes yeux continuent de trancher tout sur leur passage. Je prends une boîte et pars me rasseoir. Quand je soulève le tabouret, je fais en sorte qu'il grince bien sur le sol pour faire regretter à Amalia de me faire subir ça. Je fais sa boîte à la con, je la décore. Je la peins en orange puisque je suis la seule rousse de la salle. Tu veux que ça me ressemble ? Ça va me ressembler. Par-dessus, des yeux plissés prennent naissance. Les yeux du diable qui sommeille en moi. Et c'est tout ce que je fais pour cette foutue boîte. Elle ma demandé un petit effort ? Le voilà.
Je passe à la sculpture. Je modélise une magnifique petite famille composée d'un père, d'une mère et d'une petite fille. Plus tard, je modélise une autre petite fille qui, elle, ne sera pas rattachée à sa famille. Le voilà ton petit effort Amalia. Voilà ce que tu me fais faire. Je peins rageusement les visages de ma soi-disant famille avec des cornes et les mêmes yeux présents sur ma boîte. Je leur gribouille une moustache comme ils font sur les photos des gens qu'ils n'aiment pas dans les films. Puis je l'efface parce que comme j'ai dit, je veux que ça reste un minimum esthétique. Mais je dis bien me rendre à l'évidence, ça ne ressemble à rien. Littéralement à RIEN. Puis, comme mon cerveau a décidé de ne pas accepter les consignes, de ne pas pardonner ces actes inhumains qu'ils m'ont fait subir, je les lance dans un sachet plastique que je colle à la boîte.
Ma magnifique petite famille pend au bord du précipice tandis que je me suis installé un joli petit fauteuil sur le couvercle de ma boîte. Désolée Amalia (je ne suis pas désolée) mais je ne pardonnerai rien à personne aujourdhui. Lorsque nous nous plaçons en cercle pour le débriefing, je regarde inlassablement Amalia avec une envie de l'enfermer dans sa boîte du pardon jusqu'au prochain cours.
Chacun présente la chose ou la personne qu'il pardonne, je les écoute à peine. Je m'en veux un peu de leur manquer de respect, mais mes regrets s'évaporent dès que mon tour arrive.
— Je n'ai rien à présenter, mon ton est plus sec que le pain qui traîne dans ma cuisine depuis deux mois.
— Allons Maddie, je suis sûre que si, puisque tu as une boîte sur tes cuisses.
Je la regarde méchamment.
— Alors allons-y puisque tu insistes et ne respecte pas le fait que personne n'est obligé de parler.
Elle soffusque. Tu peux bien.
— Voilà ma boîte. J'ai décidé de ne pas pardonner alors j'ai placé ma famille dans un sac sans oxygène qui pend dans le vide. Et moi je suis là.
Je lève lobjet pour que tout le monde la voit et pointe du doigt ma petite statuette sur son trône. Le silence s'étire mais je ne ferais rien pour freiner son chemin. Amalia me regarde étrangement et fait signe à mon voisin de chaise qu'il peut poursuivre. Quand l'heure de partir sonne, je fais un dunk avec ma boite qui file tout droit dans la poubelle. Je lance mon sac sur mon épaule et part sans un mot. Mais avant que je ne passe le pas de la porte, j'entends Amalia me dire à louïe de tous :
— Ce n'est pas contre moi que tu es en colère Maddie. Et ce n'est pas non plus contre moi que tu aurais dû la déverser. Mais je comprends, j'accepte.
Sa phrase me donne un électrochoc dans tout le corps, à tel point que j'ai l'impression de ne plus jamais pouvoir me relever.
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Te souviens-tu ?
RomansaAlors que Maddie jongle entre ses peines de cœur, ses incertitudes et une relation familiale plus que chaotique, elle fait la rencontre de quelqu'un qui pourrait bien bouleverser tous ses idéaux. Plus le temps passe, plus ses sentiments prennent pla...