Te souviens-tu ?

16 - Un trajet glacial

Je regarde ma valise pour la vingtième fois de la matinée. Chaque fois que je dois partir quelque part, j'ai l'impression d'oublier les choses les plus importantes. Ce sentiment est atroce mais tellement bon à la fois. Je pars en vacances ! Les cours sont finis, nous avons quelques jours de congés pour fêter noël en famille et réviser nos examens. Ayant révisé mes cours depuis un certain temps, réussir ces examens ne devrait pas être une tâche compliquée. Surtout, ça veut dire que pendant ce weekend à la montagne, je n'aurais pas à travailler dessus.

Lorsque Kaïl m'a expliqué que Aaron s'était décommandé pour leur voyage aux Alpes, une vague de joie a traversé mon esprit, sachant déjà ce qu'il avait en tête pour moi. Par chance, il s'était arrangé avec le propriétaire du chalet pour faire venir une personne de plus, c'est-à-dire, ma meilleure amie. Nous partons donc Kaïl, Naïm, Noa et moi dès huit heures afin d'arriver là bas pour le repas (les larves qui nous accompagnent ne voulaient pas se lever plus tôt).

Je referme ma valise, enfile ma veste et rejoint mes amis à la gare. Naïm vient nous chercher en voiture quelques minutes plus tard et nous embarquons enfin vers trois jours de détente. Enfin je ne sais pas si ce sera de la détente pour moi puisque je n'ai jamais skié de ma vie, ça risque d'être drôle à voir. Sur la route, chacun bataille pour passer ses chansons sur la radio. Après une heure d'écoute et d'irritation, Naïm reprend la main décrétant une nouvelle règle : seule la personne au volant à le droit de décider de la musique. Je suggère alors que nous chantions celles que nous voulions, étant donné que nous sommes privés de les écouter. Nous entamons un concert digne des plus grandes casseroles sur terre. Naïm serre le volant si fort que ses phalanges blanchissent. Lorsque nous commençons à chanter une de ses chansons préférées, il craque.

— Ah non hein ! Vous n'allez pas ruiner les sons que j'aime avec vos voix de castors.

— De mammouths, corrige Kaïl.

Noa et moi nous tordons de rire l'une contre l'autre sur la banquette arrière. Pour occuper le temps, nous explorons toutes les activités possibles. Compter les voitures d'une certaine couleur, batailler autour d'un blind test et finalement, débattre. Enfin, on appelle ça un débat, mais on ne fait qu'écouter les réponses les uns des autres. Malgré tout, ça reste de loin la partie la plus intéressante.

— Si vous pouviez effacer la mémoire d'une personne après lui avoir dit quelque chose, qu'est-ce que vous lui diriez ?

La question de Noa engendre un silence pensif dans tout l'habitacle. Naïm suggère de répondre en premier pour nous laisser le temps de trouver une confidence qui nous convient.

— Ça va vous paraître niais, mais je dirais à ma mère que je l'aime. C'est trop dur à dire pour que jose le faire et c'est encore plus difficile de me dire qu'elle va le retenir.

Étonnée, je lui demande ce qui lui fait peur. Il me confie que dans sa famille ce genre d'intention ne se dit pas. Que c'est vu comme une faiblesse de dire "je t'aime". Et pourtant, qu'il rêverait de le lui confier, ne serait-ce qu'une fois. Nous sommes tous profondément attendris par sa déclaration.

— Moi, enchaîne Noa, je crierais sur ma mère un bon coup. Je lui dirais que ce n'est pas à moi d'avoir le rôle de mère pour Malik tout ça parce que notre père est parti. Depuis petite, je lui en veux. J'ai toujours cru que c'était elle qui l'avait fait fuir. Alors que pour nous, notre famille est la valeur la plus importante. Mais j'effacerai sa mémoire pour ne pas la blesser. J'ai juste besoin de me défouler, pas de lui briser le coeur une fois de plus.

— En tout cas, si tu as besoin de te défouler une fois, je suis là, je souligne en lui serrant la main.

Un sentiment de gratitude émane de son regard tandis que Kaïl poursuit la conversation. Le paysage commence doucement à changer autour de nous. Il y a de plus en plus de voitures. Ce sont probablement d'autres vacanciers qui partent en direction des pistes, comme nous.