Point de vue d'Euphrosyne
Clignant des yeux, je me sens reprendre contact avec le monde qui m'entoure et me retrouve dans ma chambre, désorientée, tentant de chasser le flottement qui enveloppe encore ma conscience. Le parfum des roses est remplacé par l'odeur bien trop familière de l'humidité. Mon souvenir, car cela ne peut être que cela, s'éloigne lentement.
Mon cœur, lui, bat la chamade. Il résonne encore dans ma poitrine répercutant en moi l'écho lointain des rires joyeux de trois petites filles. Cela m'a semblé si réel. Mais contrairement à la maison que mon esprit vient de quitter, ici tout est calme. Le silence de la pièce n'est rompu que par les pas pressés résonnant dans les couloirs de Sainte-Marguerite, remplissant le silence. Devant moi, Thalie m'observe, inquiète, dans le reflet du miroir. Je me tourne vers elle, déboussolée. Je la reconnais. Cette certitude s'imprègne en moi. Ces cheveux roux. Ces boucles épaisses. Ces taches de rousseur et surtout cet air tempétueux. Thalie est ma sœur. J'ai une sœur, me répété-je en pensée, les larmes aux yeux. Elle se penche vers moi, de même qu'Apollon, tous deux ayant l'air très inquiets.
Elle rompt alors le silence :
— Rosy ? Tu vas bien ? Tu es avec nous ? Tu sembles avoir... décroché pendant un moment... Dit Thalie peinant à trouver ses mots.
J'acquiesce. C'est sûrement la seule réponse dont je suis capable actuellement, sous le coup de l'émotion. J'attendais ce jour avec tellement d'espoir. Avoir une famille, quelqu'un pour qui je compte. Qui vienne me chercher et me sortir d'ici...
Apollon, égal à lui-même, m'observe, toujours en retrait, ses yeux pleins de questions. Mais c'est ma sœur qui rompt en premier le nouveau silence qui s'est instauré en prenant l'initiative de tendre lentement son collier chatoyant aux reflets chauds. Je ressens une certaine chaleur lorsqu'elle place l'objet dans ma main, sa paume contre la mienne, comme si une véritable connexion était en train de se créer.
— Tiens, me dit-elle doucement. Cela semble être important pour toi. S'il peut te faire du bien... continue-t-elle avec un sourire, m'encourageant à le prendre. Et peut-être qu'il pourra t'aider à rassembler toutes les bribes de tes souvenirs, murmure-t-elle, une douleur inattendue transperçant dans sa voix habituellement fougueuse.
D'une main tremblante sous le coup de l'émotion, je repousse doucement le collier vers elle, rejetant silencieusement son offre. Je comprends à présent. Ce pendentif n'est pas à moi, il ne l'a jamais été. Je ne veux pas le prendre pour combler un manque, ce ne serait pas juste.
Apollon et Thalie échangent un regard, tandis que je me lève et me dirige vers mon lit. Je vois ma soeur intimé l'ordre silencieux à Apollon de ne pas me suivre. Les planches du parquet grincent sous mes pieds. Je repousse la couverture, soulève une partie du drap housse, révélant ainsi le matelas. Soudain, je me fige. Je n'ai jamais osé montrer mes dessins à quiconque auparavant. Je me tourne vers Apollon, incertaine. Je lui ai fait confiance jusque-là, et il n'a jamais brisé sa promesse de me protéger. Et surtout, il me faut des réponses, même si je finis punie une nouvelle fois...
Je sens que tout mon univers est déjà en train de basculer. Alors, prenant une inspiration pour me donner du courage, je me penche et glisse ma main parmi les plumes amalgamées, tirant une liasse de feuilles volantes dissimulée à l'intérieur du matelas.
Des dessins minutieux couvrent les pages, dont la plupart révèlent ma psyché. Ils sont tous accès sur les mêmes sujets ou objets. Une maison en bord de mer, un palais flottant dans les nuages, Et toujours ces bijoux, le pendentif, exact réplique de celui de Thalie, ainsi que deux bagues à l'éclat absent, car dessinés qu'en nuances de bleue. Ils apparaissent, de ci de là, un peu partout dans mes esquisses.
Je les tends à Thalie, qui s'est enfin rapprochée discrètement. Nos deux souffles créent un rythme commun qui perturbe à peine le calme de la pièce. Un sourire illumine son visage, lorsqu'elle tend les feuilles à Apollon, qui scrute déjà chaque trait avec une grande intensité.
— Rosy... Quand as-tu fait ces dessins ? me demande-t-il, un soupçon d'émerveillement dans sa voix.
Je le regarde, perdue. Je n'en ai pas la moindre idée, certains me semblent si vieux...
Souvent, j'ai l'impression de les redécouvrir. Comme si ce n'est même pas moi qui en aie été l'auteur. Beaucoup se sont effacés de ma mémoire, notamment les plus anciens. Mais les bijoux reviennent, inlassablement, comme seul point d'ancrage de mes souvenirs défaillants.
Incapable de lui répondre, je hausse les épaules d'un air désolé. Un silence succède à mes aveux.
Je sens qu'il se passe quelque chose. L'émotion d'Apollon et Thalie est palpable alors qu'ils observent mes œuvres avec une très grande attention. C'est alors que Thalie, fouillant parmi les feuilles, révèle un dessin en particulier qui capture son regard. Il représente trois silhouettes enlacées, main dans la main. Écho poignant de la vision qui m'a tant émue quelques minutes auparavant.
Intriguée, je m'avance, touche du doigt les deux silhouettes, avant de regarder ma sœur, une question muette en suspens. Je cherche une confirmation. L'assurance de n'être ni folle, ni seule. J'ai besoin de savoir si Thalie est bien ma sœur. Alors, je prends sa main, comme sur l'image, que je pointe de l'autre main, d'un air interrogatif.
À cet instant, je vois ses yeux se remplir de larmes et, dans un élan de tendresse, elle me prend dans ses bras. Plus qu'un simple contact, nous partageons à présent une histoire, une douleur, et, désormais, un espoir retrouvé.
— Tout ira bien, petite sœur, me dit-elle, sa voix secouée de sanglots. Nous t'aiderons, je te le promets. Nous ferons face ensemble à ton passé.
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...