6. Filature

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J'entends la cloche sur le perron résonner avec insistance, marquant le début d'une nouvelle journée à Sainte-Marguerite. Je sais que c'est le signal et qu'il amènera sans aucun doute une vague de mouvement dans l'établissement encore endormi. J'imagine tout à fait les patients émerger de leurs lits. Certains ronchonnant, comme s'ils luttaient contre le réveil, tandis que d'autres subissent leur sort, l'esprit encore engourdi par une nuit sans rêve.


Assise au bord de mon lit, légèrement penchée en avant, j'observe l'agitation à travers la fenêtre de ma chambre. Ce matin, la pluie martèle doucement contre les vitres, dessinant des traînées translucides sur le verre.

Malgré tout, j'espère ardemment que le déluge cesse. J'ai besoin de m'échapper, ne serait-ce qu'un instant, dans le calme du jardin. Là-bas, le plus loin possible des murs de l'institution, le monde devient supportable.


Mais pour l'instant, il est temps de rejoindre les autres pour le petit-déjeuner. Je ne souhaite pas me faire punir aujourd'hui, les bleus de la veille commencent vraiment à me faire souffrir et colorent ma peau de nuances de bleus et de verts.

Dans le réfectoire, la disposition des tables reste inchangée : linéaires et séparées, comme pour nous dissuader de communiquer. Peut-être craignent-ils un complot ?


L'odeur familière du porridge s'immisce dans l'air. Je me dirige vers une table isolée, lorsque 31 me remarque. Son allure est débraillée, sa chevelure blonde en bataille. Bien qu'elle soit ici depuis bien plus longtemps que moi, ses yeux pétillent encore. Je la trouve fascinante. C'est la seule personne qui semble posséder un restant de vitalité ici.


— Encore du porridge indigeste en perspective ? raille-t-elle en me rejoignant avec une grimace quasi théâtrale.


Je lui offre un demi-sourire en guise de réponse. 31, avec sa personnalité exubérante, trouve toujours le moyen de colorer les jours les plus ternes. Enfin quand elle n'est pas punie et mise au mitard. Ce qui arrive malheureusement très souvent. Elle s'assoit sur l'une des chaises vides disposées en quinconce, tenant son bol avec précaution comme s'il s'agissait d'un objet précieux.


— Je parie qu'ils l'ont encore plus dilué aujourd'hui, dit 74, un sourire narquois aux lèvres alors qu'elle s'installe à côté de nous. Grande et élancée, elle est l'une des rares personnes à l'institut qui se risque à interagir avec les autres. Son observation quotidienne sur la qualité du porridge est devenue un rituel auquel personne n'échappe.


Le repas se déroule silencieusement, rythmé par le bruit des cuillères raclant les bols. J'aperçois 53, le garçon au regard fuyant, en train de mélanger son bol avec une concentration maladive. Il est arrivé juste après moi et je dois dire qu'il m'intrigue autant qu'il me déconcerte. Comme moi, il ne parle pas. Il garde la tête baissée et a toujours le regard fuyant.

31 interrompt mes pensées en tapotant doucement ma main.


— 52, Tu crois qu'un jour, on découvrira la recette secrète de cette tambouille infâme ? Il doit forcément y avoir un ingrédient caché pour être aussi... élastique.


Je hausse les épaules, un léger sourire étire mes lèvres tandis que je secoue légèrement la tête. Sans besoin de parler, 31 et 74 savent lire mes réponses autrement qu'à travers les mots.

La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant