Ἀ κροποδητί*
Point de vue d'Euphrosyne
Sainte Marguerite est plongée dans une obscurité oppressante. Il doit être très tôt le matin. Ou tard le soir. Difficile de le dire. Le silence qui y règne n'est troublé que par les hululements d'une chouette et le doux bruissement des feuilles agitées par le vent à l'extérieur. Je ferme les yeux quelques secondes. Je suis si fatiguée... Mais impossible de m'endormir, la faim me tenaille trop. À peine cette pensée traverse-t-elle mon esprit qu'un gargouillement affreux brise le calme de la chambre.
Depuis hier matin, ils m'interdisent de manger. Je soupire. Une telle punition juste pour avoir "emprunté" un stylo à une infirmière — un emprunt inconsidéré, certes, mais elle l'avait laissé sur ma table de nuit en se précipitant vers un autre patient. Ce n'était donc pas un vol délibéré, pour une fois...
Mais Madame Marie l'avait trouvé lors de son inspection quotidienne matinale. Elle ne s'était pas embarrassée à chercher une explication à sa trouvaille. Ses paroles résonnent encore dans ma tête : "Vous rendez-vous compte de la peste que vous êtes ? vous êtes une voleuse, et je suis certaine que si vous pouviez parler, vous seriez aussi une menteuse ! Je le vois sur votre visage ! Vous avez l'impression d'être dans votre bon droit et d'avoir toujours raison ! Il est temps de vous montrer que le non-respect des règles de cet établissement a des conséquences." Après cette tirade et une gifle magistrale, me voilà privée de nourriture, et ce, pour une durée indéterminée.
Seulement, je sens que je ne vais pas tenir bien longtemps le ventre vide. Il faut absolument que je trouve quelque chose à avaler.
Devrais-je... Non. Je n'ose aller au bout de ma pensée. Si l'on me trouve, que m'infligera-t-on encore ?
Mais...
En même temps ? Quelle situation pourrait être pire que celle-ci ?
Comme en réponse, un deuxième gargouillis retentit alors.
Tant pis, je dois essayer, j'ai si mal au ventre.
Me levant précautionneusement, je me tiens au lit. Je chancelle jusqu'à la porte. Je la fais pivoter sans bruit. Pour atteindre la cuisine, je dois descendre les escaliers. En bois et ancien, il grince énormément. Mais cela fait plusieurs années que je suis ici. Je sais donc exactement où poser mes pieds pour limiter au maximum les sons.
Je m'agrippe à la rambarde et rejoins progressivement l'étage inférieur. Un sourire nait sur mon visage. Quel soulagement ! J'ai réussi sans encombre, plus que quelques pas, et ce sera bon !
Ma main appuie alors sur la clenche, mais les gonds n'ont pas été huilés depuis un bon moment. Un grincement sinistre retentit. Je me fige, affolée. Le temps semble ralentir. Un ronflement sonore me parvint, suivi par une toux discrète au bout du couloir.. Mais les minutes s'égrènent, et personne ne vient.
Rassurée, j'avance dans la pièce. Sur la table, je distingue malgré le manque de luminosité des morceaux de pain, restes d'un dîner. Affamée, j'en saisis un et commence à le mâcher lentement. Il est dur, certes, mais la mastication m'apaise.
Alors que je savoure ce moment, quelque chose chatouille ma main gauche posée sur le plan de travail. La panique m'envahit. La chose s'accroche ! Elle est en train de me grimper dessus ! Ses nombreuses pattes me chatouillent autant qu'elles me dégouttent.
Effrayée, je lâche le morceau de baguette, secoue ma main frénétiquement. Un cri strident s'échappe de ma gorge. Terrorisée, je plaque une main sur ma bouche la sensation désagréable de la bestiole oubliée. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai émis un son !
Un grognement sourd brise le silence. J'entends une porte s'ouvrir bientôt suivie de pas lourds qui s'avancent en direction de la cuisine.
Mon regard parcourt la pièce, cherchant un moyen d'échapper à cette confrontation. Mon inquiétude s'accentue, ma gorge se serre et je sens des larmes couler sur mes joues. Nulle échappatoire visible.Soudain je l'aperçoit. Le placard. Juste assez grand pour me contenir.
Sans hésiter, je me glisse silencieusement à l'intérieur. Juste à temps, car la lumière inonde la pièce, filtrant par les rainures de la porte du placard.
— Rhaaa ! Encore un cinglé qui se croit tout permis ! Si je mets la main sur lui... Je vais lui faire passer l'envie de recommencer, grogne le cuisinier.
Son ombre passe devant ma cachette, masquant quelques secondes la lumière tandis qu'il inspecte la pièce. Mon cœur bat à tout rompre. Recroquevillée, les jambes contre ma poitrine, j'attends, retenant mon souffle.
C'est alors que je la vois. Une araignée qui court le long de ma manche avec ses grandes pattes. Les larmes repartent de plus belle, mon souffle devient saccadé. L'arachnide me terrorise. Ridicule, je le sais. Mais il m'est impossible de me calmer. Je veux m'enfuir, me secouer dans tous les sens. J'essaie de me contrôler, tant bien que mal. Mes muscles se contractent pour m'empêcher de bouger.
Mais soudain, la lumière s'éteint, les pas s'éloignent.
Mais je la sens soudain sur le dos de ma main. ses petites pattes qui courent sur ma peau. Je secoue mon bras et heurte violemment une casserole. L'impact retentit comme un glas métallique, véritable vacarme. Le temps semble s'arrêter.
La porte du placard s'ouvre à la volée. Une main, massive, agrippe mon poignet et me tire violemment hors de ma cachette. Ses ongles s'enfonçent dans ma peau alors que je lutte pour me défaire de son emprise.
— Sors de là espèce de sale Vermine ! vocifère-t-il.
Je me débat, tentative vaine de résister. Je suis si faible comparé à cet homme. D'un seul mouvement, il me traîne hors du placard. ma tête heurte violemment le haut. Une douleur fulgurante me terrasse. Des taches danse devant moi. Un liquide chaud coule le long de mon crâne. Mes jambes cèdent et je tombe à genoux sur le plancher, mon poignet toujours fermement maintenu.
Et soudain, je l'entends. Cette voix qui était devenue en l'espace d'une petite semaine seulement, déjà si familière.
— Que se passe-t-il ici ?
Apollon. Je la reconnaîtrai entre mille. Alors, un espoir renaît en moi. Lui qui se montre plus gentil que toutes les personnes que j'ai connues jusqu'ici, ne peut que me sortir de là, n'est-ce pas ?
* sur la pointe des pieds
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...