14. La quête nocturne d'Euphrosyne

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Ἀ   κροποδητί*


Point de vue d'Euphrosyne


Sainte Marguerite est baignée dans le noir. Il doit être tôt le matin. Ou tard le soir. Difficile à dire ici. Le silence qui y règne est seulement troublé par les hululements d'une chouette et le bruissement des feuilles par le vent au dehors. Je suis si fatiguée... Mais impossible de m'endormir, j'ai bien trop faim. Au moment même où j'exprime cette pensée, un terrible gargouillement brise le calme de la chambre.


Depuis hier matin, il m'est strictement interdit de manger quoique ce soit. Je soupire. Une telle punition juste pour avoir volé un stylo à une infirmière... Et encore, voler est un bien grand mot. Ce n'est pas comme si elle l'avait juste oublié sur la table de nuit en partant s'occuper d'un autre patient. Pour une fois que ce n'était pas un acte volontaire de ma part...


Mais Madame Marie l'avait trouvé lors de son inspection quotidienne qu'elle effectue tous les matins sans exception. Et elle ne s'était pas posée beaucoup de questions sur l'origine de sa trouvaille. Après des remontrances sévères telles que "Vous rendez-vous compte de la peste que vous êtes ? vous êtes une voleuse, et je suis certaine que si vous pouviez parler, vous seriez aussi une menteuse ! Je le vois sur votre visage ! Vous avez l'impression d'être dans votre bon droit et d'avoir toujours raison ! Il est temps de vous montrer que le non-respect des règles de cet établissement a des conséquences." Donc, après avoir reçu une gifle magistrale à la fin de ce discours, me voilà privée de nourriture, et ce, pour une durée qui semble être indéterminée.

Seulement, je sens que je ne vais pas tenir bien longtemps ainsi. Il faut absolument que je trouve quelque chose à avaler.


Devrais-je... Hum, non, pensais-je soudain interrompant brièvement le flux de mes pensées, si l'on me trouve, que m'infligera-t-on encore ?

Mais...

En même temps ? Qu'est-ce qui pourrait bien être pire que la situation actuelle ?

Un deuxième gargouillis résonne alors, faisant cesser ma réflexion.

Tant pis, je dois essayer, j'ai si mal au ventre.


Alors, lentement, je m'assois sur le lit et ferme mes yeux, attendant que mes trop nombreux vertiges passent. Je me lève ensuite, me tenant au lit et avance, chancelante, jusqu'à la porte de ma chambre que j'actionne sans bruit. Pour atteindre la cuisine, je dois descendre les escaliers. Vieux, ils grincent énormément. Mais cela fait plusieurs années que je suis ici. Je sais donc exactement où poser mon pied sur chaque marche pour limiter un maximum les sons. M'agrippant à la rambarde, je rejoins progressivement l'étage inférieur. Un sourire de soulagement né sur mon visage. J'ai réussi sans encombre, encore plus que quelques pas, et ce sera bon. Ma main appuie alors sur la clenche, mais les gonds n'ont pas été huilés depuis un bon moment. Un grincement sinistre retentit. Je me fige, affolée. Le temps semble s'écouler plus lentement. Un ronflement sonore se fait entendre. Quelqu'un d'autre tousse au bout du couloir. Mais les minutes passent, et personne ne vient.


Alors, je décide d'avancer dans la pièce. Sur la table, je distingue malgré le manque de luminosité des morceaux de pain qui restent du dîner. Avide, j'en attrape un et commence à en avaler quelques bouchées. Il est dur, mais un bien-être m'envahit instantanément. Mâcher... C'est si simple et pourtant si réconfortant en cet instant. Mais alors que je me délecte, je sens que quelque chose chatouille ma main. La panique me prend. C'est en train de me grimper dessus !


Terrorisée, je lâche le morceau de baguette, secoue ma main dans tous les sens et pour la première fois, un cri strident sort de ma gorge. La stupeur s'empare de moi, incrédule, je plaque ma main sur ma bouche, oubliant la sensation horrible d'être parcourue par une bestiole.


C'est alors qu'un grognement retentit. J'entends une porte s'ouvrir, des pas lourds qui s'avancent en direction de la cuisine.
Mon regard parcourt la pièce, cherchant un moyen d'échapper à cette confrontation. Mon inquiétude s'accentue, ma gorge se serre et je sens des larmes couler sur mes joues. Il n'y a qu'une seule porte ici, je ne peux donc m'enfuir sans me faire prendre. Le Placard est peut-être la seule solution. Celui se trouvant en face de moi est entrouvert et semble suffisamment grand pour me contenir. Aussitôt, je l'ouvre et plonge à l'intérieur le plus silencieusement possible. À peine l'ai-je refermé, que la lumière s'allume. Elle passe par les interstices entre les planches en bois et les rainures de la porte.


— Rhaaa ! Encore un cinglé qui s'est cru tout permis ! Si je mets la main sur lui... Je vais lui faire passer l'envie de recommencer, grogne le cuisinier.


Une ombre passe devant ma cachette. Mon cœur bat à tout rompre. Recroquevillée, les jambes contre ma poitrine, j'attends, me retenant au maximum de respirer. Il ne faut surtout pas que je me fasse remarquer.


C'est alors que je la vois. Une araignée qui court le long de ma manche avec ses grandes pattes. Les larmes repartent de plus belle, mon souffle devient erratique. J'en ai si peur, sûrement encore plus que de l'homme qui erre dans la cuisine. C'est ridicule, j'en suis consciente, et pourtant je peine à me contrôler. Je n'ai qu'une envie, sortir de là et me secouer dans tous les sens. Heureusement, les pas finissent par s'éloigner et la lumière s'éteint.


Mais je la sens soudain sur le dos de ma main. D'instinct, de panique, je la secoue de nouveau autant que je le peux dans cet espace si exigu, quand je heurte ce qui devait être une casserole. Un vacarme métallique en résulte. Et en l'espace de quelques secondes à peine, la porte du placard s'ouvre à la volée, une main énorme enserre mon poignet et tente de me tirer avec force hors de ma cachette. Ses ongles s'enfoncent dans ma peau tandis que j'essaie de me libérer de sa poigne.


— Sors de là espèce de sale Vermine ! hurle-t-il.


Je résiste, le plus possible, mais je suis bien trop faible comparé à cet homme. D'un seul mouvement, il me sort du placard, avec une telle violence que ma tête en heurte le haut. La douleur est terrible, des taches apparaissent dans mon champ de vision. Un liquide chaud se met à couler le long de mon crâne, mes jambes me lâchent et je tombe à genoux sur le plancher, mon bras toujours en l'air maintenu par le Cuisinier enragé.

Quand soudain, je l'entends. Cette voix qui était devenue en l'espace d'une petite semaine seulement, déjà si familière.


— Que se passe-t-il ici ? Demande celle-ci.

Apollon. Je la reconnaîtrai entre mille. Alors, un espoir renaît en moi. Lui qui se montre plus gentil que toutes les personnes que j'ai connues jusqu'ici, ne peut que me sortir de là, n'est-ce pas ? 


*Sur la pointe des pieds

La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant