Prologue

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Ερωτηθεις τι εστιν ελπις, "Εγρηγοροτος," ειπεν , "ενυπνιον."*


Il y a six ans...


Cela fait déjà six ans que la terre est plongée dans une morosité perpétuelle dévorante.


Tout est gris et semble terne. Les villes, autrefois si attrayantes, sont à présent devenues des labyrinthes de béton, dénuées de toute fantaisie. Les gens y errent telles des ombres, indifférents, leurs visages marqués par une lassitude perpétuelle.


La pluie commence doucement à tomber. Une odeur d'humidité imprègne, constante depuis plusieurs mois, les rues de la ville. Les passants arpentent les trottoirs, marchant le plus rapidement possible, la tête baissée, comme pour échapper à cette mélancolie accablante.


C'est dans ce nouveau monde que je survie. Je suis maintenant habituée à cette grisaille suffocante. Je me souviens encore des bribes d'un passé où l'inspiration bouillonnait dans les esprits, et où chaque jour portait en lui la promesse d'une découverte ou d'une émotion nouvelle. Mais ces souvenirs s'estompent comme des photographies laissées trop longtemps au soleil. A présent, toutes mes journées sont rythmées par une monotonie constante.


La simple mention de "joie intense" semble devenue archaïque, appartenant à un temps révolu. Pourtant, cela ne fait que quelques années que celle-ci a disparu. Même les enfants ont oublié ce qu'est le bonheur. Dans les cours d'école, plus aucun éclat de rire ne résonne. Les jeux sont devenus progressivement des routines, dénuées de créativité. Les jouets n'évoluent plus, eux non plus, et comme depuis bientôt six ans, le catalogue de Noël de cette année n'offrira aucune nouveauté. Seule la date sera modifiée.


Je soupire en pensant à cela, mes pas lents et pesants résonnent sur le sol humide. Je marche, en repensant aux nombreux livres que j'ai eu le bonheur de dévorer autrefois. Je me remémore encore cette étincelle que je ressentais lorsque je tournais une page, la chaleur de l'excitation lorsque les mots formaient des phrases, puis des images et des idées dans mon esprit. Mais aujourd'hui, chaque tentative de lire ou d'écrire, moi qui adorais la poésie, se solde par une page blanche. Les bibliothèques ont fermé peu à peu, devenant des mausolées de papier. Les écrivains, qu'ils soient célèbres ou non, ont tous fini par mettre en pause leurs carrières, vaincus par la léthargie collective.


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Je déambule, le cœur lourd, vers un café, l'un des rares endroits où je peux encore m'accorder une pause dans cette morne existence. Autour de moi, les visages sont figés dans une expression de fatigue perpétuelle. Personne ne parle à haute voix; les conversations sont réduites à des murmures exempts de vitalité. Je me surprends à observer un serveur qui, autrefois, aurait peut-être échangé quelques mots plein de verve à un client. Désormais, il se contente de déposer les commandes mécaniquement, le regard absent, attendant la fin de son service.


Assise près d'une fenêtre, je me surprends à regarder la pluie tomber sans interruption, inondant de plus en plus la rue adjacente. En fixant l'horizon, je ne peux m'empêcher d'être frappée par l'absence totale de mouvement. Aucun enfant ne court plus. Aucun rire ne résonne soudainement. Ma main se porte à mon cœur, une douleur lancinante l'étreint, un vide qu'une seule personne pourrait combler. Qui a dit que personne n'était indispensable déjà ? Car ma sœur l'est, indispensable. Depuis sa disparition le monde est terne sans ses pouvoirs et le bonheur qu'elle véhiculé.

Même les artistes ont perdu leur muse. Les galeries d'art qui subsistent n'ont plus de nouveauté depuis des années. Les nouvelles toiles ne sont que le reflet d'une créativité morte, exposant des œuvres sans âme, dépourvues de passion ou de rébellion. Les chansons, autrefois interprétées avec ferveur, ne sont plus que des murmures froids.


Je me sais pourtant chanceuse. Contrairement aux mortels et même aux divinités, je ressens encore au fond de moi une lueur d'espoir. Mon statut de Charite me protège un peu des effets de la malédiction.


Et comme chaque soir, je rentre chez moi, déterminée à retrouver une trace d'inspiration, si infime soit-elle.


Dès le seuil de ma maison franchi, je commence ma déambulation quotidienne. Je parcours chaque pièce, posant mes yeux sur des objets du passé, espérant y découvrir un fragment de joie oubliée. C'est un véritable besoin pour moi que de me livrer à ce rituel, même s'il ne conduit que très rarement à ce que je souhaite. Le salon, autrefois vibrant de vie, semble aujourd'hui figé dans une pénombre oppressante. Je m'approche des vieilles boîtes poussiéreuses empilées dans un coin. D'une main légèrement tremblante, je les inspecte. Elles regorgent de souvenirs, de photos de familles et de lettres jaunies par le temps.


Au fond de l'une d'elle, mes doigts effleurent un journal intime, appartenant à une autre époque. Je l'ouvre délicatement, les pages craquants sous ses doigts, et plonge dans un autre siècle, un temps où le monde était encore vibrant, plein d'idées et d'émotions. Où il était vivant.


Un sourire étire mes lèvres lorsque je ramasse une photographie échappée de l'ouvrage. J'y vois ma maison d'enfance, deux petites filles souriantes, et la troisième, plus jeune, avec une moue boudeuse sur les lèvres. Derrière, trois noms, Aglaé, Thalie et Euphrosyne y sont inscrits.


Laissant échapper un soupir, je sens une larme couler doucement sur ma joue, en même temps qu'une douleur sourde se réveille en moi. Une douleur que je connais bien, celle de l'absence et de la perte.


Je continue ma déambulation, portant avec moi ce mélange de nostalgie et de désespoir. Je traverse chaque pièce, chaque recoin de cette maison comme pour faire resurgir des souvenirs, pour tenter de comprendre ce qui a été perdu. Mais une chose est claire : je n'ai rien pu faire pour empêcher cela.


Et pourtant, au cœur de cette marche solitaire, il y a encore cette petite flamme en moi. Peut-être que dans une vieille boîte, une lettre oubliée, ou une photo jaunie, je trouverais de nouveau une raison de sourire.


"Je n'ai rien pu faire pour empêcher cela..."


*Aristote : "Quand on lui a demandé : "Qu'est-ce que l'espoir, il a dit : le rêve d'une homme réveillé"

La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant