Point de vue d'Euphrosyne
Οἶδα οὐκ εἰδώς.*
Dans le morne quotidien de Sainte-Marguerite, il n'existe qu'un seul refuge, libre de la surveillance pesante des aides-soignants : le jardin. Un fragment de liberté, qui, bien que laissé à l'abandon, fait éclore une lueur d'évasion dans mon esprit. Le vent murmure à travers les feuilles des pins, insufflant de la vie à ce lieu paisible, loin des murs décrépits de ma chambre. Des écureuils courent et s'amusent parfois le long de leurs troncs, ce qui parvient même à me faire esquisser un sourire.
Ici, je peux être moi-même, où du moins ce qu'il en reste, fugace et libre. C'est bien le seul endroit où l'on me laisse tranquille. Où personne ne vient me souffler à l'oreille que je suis anormale.
Il est négligé, certes, mais étrangement accueillant. Les hauts murs de la bâtisse, abîmés par le temps, paraissent bien moins oppressants vu d'ici. J'aime m'y rendre, chaque fois que je le peux. Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau. J'adore sentir la pluie sur ma peau. Le soleil la réchauffer. L'odeur des conifères que le vent me porte. Je me sens alors tellement plus vivante.
Comme à chaque visite, je m'assieds sous le vieux chêne, toujours au même endroit. C'est un peu mon sanctuaire à ciel ouvert. Et loin des regards scrutateurs, je m'adonne à mon unique passion : le dessin. Mais aujourd'hui, il manque quelque chose. Mes doigts cherchent frénétiquement un carnet caché dans ma poche et s'arrêtent sur les dernières pages. Il est rempli d'esquisses, de souvenirs flous et de bribes de rêves et de cauchemars. Un palais d'or et de marbre entourés de nuages... Une plage magnifique recouverte de sable fin et un océan scintillant... Une maison en bord de mer décorées d'une multitude de coquillages. Des forêts à perte de vue...Bien que ces lieux me semblent familiers, je ne les ai, à ma connaissance, jamais vus. C'est ma façon à moi de consigner les fragments éparpillés de mon imagination. Une tentative désespérée de capturer des images de mes rêves évanescents, et ce, avec une précision mystérieuse. C'est le seul loisir qu'il semble me rester, cela, et me promener dans le parc à la recherche d'une quelconque issue, toujours en vain. Tourner en rond, un passe-temps comme un autre dans une vie si insignifiante. Je soupire.
Je n'ai pas trop le choix malheureusement. Et je sais que sans mon carnet, cet acte de rébellion face à une routine sans fin, je plonge dans l'angoisse. Je ne peux pas me permettre de perdre cela. Je décide donc d'élaborer un plan : me procurer un nouveau carnet dans l'aile droite de l'institution. Ce n'est jamais une mince affaire. Mais dessiner m'est aussi vital que de respirer, et je n'ai plus la place pour ne serait-ce qu'un seul croquis dans mon cahier actuel. Et cela m'angoisse fortement. Si j'avais été intelligente, j'en aurais pris un la fois dernière, lorsque j'ai entendu la conversation dans le bureau du directeur. La réserve de matériel se situe dans le même couloir. Mais peut-être qu'aujourd'hui j'aurais même eu la chance de tomber sur le saint-Graal : un taille-crayon. Mais j'ai eu peur et me voilà bien avancée aujourd'hui !
Je suis donc obligée de me rendre une nouvelle fois dans la salle de repos des aides-soignants. Pour cela, je dois attendre l'heure de leur pause. Car il nous est interdit de dessiner où décrire ici. D'ailleurs, j'ai déjà écopé de plusieurs punitions. J'ai beau essayer d'être discrète, il est difficile de tout cacher aux soignants. Mais je me débrouille toujours pour voler des crayons et autres matériels dès que l'occasion se présente. J'ai trop peur que mes visions disparaissent. Comme si ma mémoire était incapable de garder des informations sur le long terme. Au fil des semaines qui passent, tout finit par s'estomper, ce qui m'occasionne un stress terrible.
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomansaSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...