Point de vue d'Apollon, période actuelle
— Suivez-moi, me dit-elle d'un ton sec qui trahit, peut-être, plus d'urgence que d'impatience.
Les couloirs serpentent interminablement. Cet endroit est immense. La tristesse imprègne les lieux et alourdit mes pas. Moi, Apollon, dieu de l'art et de la guérison, voit mon humeur influer par la morosité de simples mortels. Ou bien par quelque chose de plus insidieux...
Les visages des nombreux patients que nous croisons impriment leur marque dans ma mémoire. Amaigris, leurs regards semblent vides et ils lèvent à peine leurs yeux vitreux tandis que je déambule dans l'hôpital. Nous passons devant le réfectoire. Certains sont encore attablés malgré que nous soyons en milieu d'après-midi. Leurs plateaux vides ne sont toujours pas débarrassés. Plus loin, dans une salle commune, d'autres sont figés sur des chaises, sans aucune possibilité de se distraire. Aucun ne parle. Comme s'ils attendaient simplement que la mort les cueille, dernier espoir d'un monde meilleur.
Des hôpitaux, j'en ai vu des milliers, et j'ai insufflé la vie, littéralement, à nombre d'entre eux. Mais jamais, oh grand jamais, je n'ai ressenti une telle lourdeur s'abattre sur mon essence divine. L'atmosphère qui règne ici est presque étouffante. Mais je suis le dieu de la lumière, je vais les ramener à la vie. Même les cas les plus désespérés.
Soudain, je me promet de les aider. C'est un serment que je ne trahirais pas. Même si Rosy ne s'y trouve pas, même si l'existence mortelle semble aussi futile qu'une brise d'été, je ferai tout mon possible pour venir en aide à ces âmes abandonnées à sortir de cet enfer. Je leur offrirai une vie plaisante, pleines de petits bonheurs. En l'honneur de ma tendre femme, en mémoire de l'amour que nous partagions.
Madame Marie s'arrête abruptement dans le corridor. Elle se tourne vers moi, l'air revêche, interrompant le fil de ma réflexion.
— Des fous, cet hôpital en est plein, m'indique-t-elle en pointant du doigt un homme tellement enfermé dans son monde qu'il ne semble même pas nous remarquer. Ses mains bougent sans cesse et il se dodine mécaniquement sur son fauteuil, tel le balancier immuable d'une horloge brisée.
— Regardez-le se dandiner ainsi, persifle-t-elle avec un sourire moqueur. Il passe ses journées à parler tout seul, à déclamer de la poésie. Peut-être saurez-vous le comprendre, continue-t-elle avec dédain tout en haussant les épaules.
Je m'approche de lui, sincèrement intrigué par ce qu'il marmonne.
— "Il me paraît égal aux dieux celui qui,
Assis près de toi doucement,
Écoute tes ravissantes paroles et te voit lui sourire ;
Voilà ce qui me bouleverse jusqu'au fond de l'âme.
Sitôt que je te vois,
La voix manque à mes lèvres,
Ma langue est enchaînée,
Une flamme subtile court dans toutes mes veines, "
Chuchote-t-il, la voix chevrotante et l'air mélancolique.
— "les oreilles me tintent
Une sueur froide m'inonde,
Tout mon corps frissonne,
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...