Point de vue d'Apollon
Je suis environné de l'odeur de vieux papiers usés et d'un vide qui hante encore chaque page du dossier 52 que je tourne.
Il n'y a que 3 feuillets, alors que pour les autres patients il faudrait des heures entières pour les éplucher. Une agrafe à été retirée, deux trous en témoignent. Je suis certain qu'il manque des informations. Les seules dont je dispose, comme le fait qu'elle "vole" et qu'elle soit "muette" (sans que n'en soit indiqué la cause) je les connais déjà. Hormis cela, et un compte rendu d'examen physique, il n'y à rien. Je décide donc, frustré, de ranger tous ces papiers, quand un post-it s'échappe et tombe sur mon bureau. Une phrase, seule, m'interpelle : "Numéro 52 ne cesse de toucher son cou et son index droit et semble être dans un état de stress important à chaque fois que cela se produit. CF salle B". Une note succincte. Mais tellement éclairante ! Son alliance et le collier de sa mère Eurynomé... S'en souvient-elle encore ? De quand peut bien dater ce document ?
Bien sûr, j'avais bien remarqué qu'Euphrosyne n'avait plus ses bijoux, auxquels elle tenait tant. Où pouvaient-ils bien se trouver ? Depuis combien de temps ne les avaient-elles plus en sa possession ? Et où peut donc être cette salle dont le papier fait mention ? J'ai pourtant fait plusieurs fois le tour de l'institut cette semaine, et aucune ne porte ce nom.
Je me frotte les yeux. Cela fait bien trop longtemps que je suis penché sur les classeurs poussiéreux de cette institution, a m'interroger sur le passé de Rose dans cet hôpital. Mon regard se pose sur la lyre reposant dans son écrin sur mon bureau. Du bout du doigt je caresse son bois finement sculpté de fleurs. Il me tarde de pouvoir la lui remettre et de voir ses doigts graciles en caresser les cordes. Je referme la boîte, nostalgique. Je me dirige vers le lit, épuisé, lorsqu'un cri aigu résonne plus loin, semblant provenir du fond du couloir. Attiré par ce son, et mue par un mauvais pressentiment, je quitte ma chambre. J'arrive dans la cuisine tout éclairée et une scène cauchemardesque se joue devant moi.
Je reconnais immédiatement mon Euphrosyne, à genoux sur le carrelage. Elle est maintenue par la poigne brutale du cuisinier. Elle est terrorisée, la peur marque son visage, et plus horrible encore, ses cheveux sont collés par son sang vermeil. Qu'avait il bien pu se passer pour qu'elle irrite à ce point le cuisinier ? Mes yeux se posent alors sur un morceau de pain grignoté posé sur la table.
Il m'est impossible de rester spectateur même si je sais que j'en subirais sûrement les conséquences. Les règles sont les règles. Je vais devoir jouer avec l'une d'entre elles. Rentrer dans le rôle que l'on me donne. Toujours. Où au moins, en avoir l'air un minimum...
Sans réfléchir, je m'élance alors vers eux, invoquant une autorité que je n'étais même pas certain de posséder en tant que simple psychiatre dans cet établissement.
-Lâchez-la immédiatement !
Je l'ordonne avec une fermeté surprenante au vu de mon jeune âge apparent.
Le cuisinier, un homme rond et rubicond dont la peau luit à la lumière orangée suspendue au-dessus de la cuisinière, se retourne avec une lenteur calculée. Je peux lire dans ses yeux une faible reconnaissance mêlée à de la défiance et de la surprise, mais son emprise sur Euphrosyne se relâche un peu.
- Cette vermine subit simplement ce qu'elle mérite, grogne-t-il, gardant pourtant le silence sur la façon avec laquelle il avait traité la pauvre fille.
J'ignore si c'est la peur ou le respect qui le retient de continuer son intimidation.
-Elle a faim, réponds-je en avançant d'un pas assuré.
Je n'ai qu'une envie, la prendre dans mes bras et la rassurer. Mais je ne peux pas encore. Il faut que l'on pense que je réponds aux exigences du poste de Sainte-Marguerite.
-Elle est punie. Madame Marie l'a interdite de nourriture, elle n'avait qu'à pas voler !
Je me retiens de le frapper. J'en ai tellement envie. Mes poings se serrent, mais pas autant que mon cœur. Je m'exècre pour ce que je m'apprête à faire.
- Vous avez raison ! Je n'étais pas au courant de toute l'histoire !
La déception. Peut-être l'amertume. Voilà ce qui marque le visage de Rose lorsqu'elle tourne son beau regard dans ma direction. Vraiment, je me hais en cet instant.
-Elle n'avait qu'à attendre demain ! grogne t-il, l'air néanmoins satisfait de s'être trouvé un allié. Cet hôpital plein de cinglés j'en ai ma claque !
- Vous avez raison, que de la vermine ! Laissez-moi m'occuper de cette fille ! Elle aura ce qu'elle mérite !
Le cuisinier la lâche brutalement. Elle se recroqueville au sol. Je n'ose même plus la regarder.
-Vous avez intérêt de lui faire passer l'envie de recommencer !
- Vous pouvez me faire confiance. Je vais la punir, je suis son psychiatre.
Sans autre choix que d'acquiescer, grognant comme un ours à qui on aurait volé son miel, le cuisinier s'éloigne et quitte la cuisine.
Une fois seuls, je me penche vers Euphrosyne pour l'aider à se relever. Brusquement je la vois reculer, rampant presque sur le sol sale. Elle me regarde comme si j'étais un monstre. De la peur brille dans ses yeux. Je me défais alors de mon masque de méchant psychiatre. Une larme s'échappe et coule sur ma joue.
- Pardonne moi je t'en prie. Je ne pensais pas ce que je disais tu sais.
Elle ne comprend pas.
Elle tremble, non seulement de peur, peut-être de froid, mais plus sûrement à cause de la douleur et du choc de la scène qu'elle vient de vivre. J'aurais tellement aimé faire subir à cet homme la douleur qu'il prend tant de plaisir à infliger aux autres. Voir l'état de Rose me rend malade. Et savoir que j'en suis en partie la cause est d'une telle violence pour moi. Mais je suis soulagé d'avoir réussi à garder le contrôle sur moi.
Tenant de recréer un climat de confiance, je m'accroupis pour être à sa hauteur. Je ramène avec douceur l'une des mèches blondes de Rosy derrière son oreille. Elle ne bouge plus, se contentant de me fixer de ses yeux à présent hagards. J'entoure sa taille de mon bras afin de l'aider à se relever. Elle s'appuie contre moi pour se stabiliser, mais ses jambes lachent. Je la rattrape in extremis en la prenant dans mes bras.
Tiens bon, murmuré-je tandis que nous quittons la cuisine, Euphrosyne s'accrochant à mon cou. Je te ramène dans ta chambre, je vais te soigner, lui dis-je avec douceur, cela ne peut pas attendre demain.
Alors que nous traversons le couloirs sombres et que j'emprunte l'escalier menant à sa chambre, je sens son cœur battre rapidement contre mon torse.
Le plus doucement possible, je m'assieds sur son lit, Euphrosyne sur mes genoux. Ma main libre se pose sur son front, et avant qu'elle ne puisse réagir, mon pouvoir chemine vers elle. Elle s'endort instantanément. Son effet salvateur continu et je vois peu à peu ses blessures se refermer. Je retourne son poignet, l'exposant à la lumière de la lune. Plus aucune trace. pareil pour la plaie présente autrefois sur son visage. C'est comme si rien ne s'était passé. Je ne peux m'empêcher de profiter de cet instant. Je plonge mon visage dans le creux de son cou, respirant cette odeur qui m'a tant manqué.
— Je t'aime, lui murmuré-je avant de l'allonger et de la recouvrir d'une couverture.
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...