Euphrosyne dort encore. Les rayons du soleil filtrent à travers les rideaux élimés de sa chambre, éclairant son visage d'une lumière chaude. Son souffle, paisible, est régulier et me confirme la profondeur de son sommeil. J'ai veillé à guérir chacune de ses blessures, notamment celle qu'elle avait à la tempe. Mais elle a perdu beaucoup de sang, et je ne peux rien faire pour y remédier. Malheureusement, mes pouvoirs ne sont pas infaillibles. Maintenant, elle a besoin de repos, de temps et de recouvrer ses forces. J'effleure sa joue d'un geste tendre lorsque, perturbant la quiétude de la chambre, quelqu'un frappe à la porte.
Après avoir remonté la couverture sur Euphrosyne, je lui jette un dernier regard et sort de la chambre. La surprise me laisse coit. Là, devant moi, se tient Thalie, l'une des sœurs de Rose. Comment a-t-elle su où nous retrouver ? Je suis certain de n'avoir laissé filtré aucune information sur notre localisation.
Elle me regarde pleine d'excitation et de bonheur, les yeux pétillants. Elle sautille comme une enfant. Comment gérer cette situation ? Je ferme doucement la porte de la chambre.- Ça y est, tu l'as retrouvé ! Je le vois dans tes yeux ! Dans ton comportement ! Elle est ici, n'est-ce pas ? Laisse-moi la voir ! s'exclame-t-elle, l'impatience transparaissant dans sa voix tandis qu'elle pose sa main sur la poignée de la chambre, prête à y pénétrer.
J'arrête son geste précipité en m'intercalant un peu plus entre Thalie et la porte.
- Oui, je l'ai retrouvé. Mais nous devons parler avant que tu ne la vois, la rassuré-je, m'efforçant de garder un ton le plus doux possible.
- Apollon, j'attends depuis huit longues années ! s'énerve-t-elle soudain, son impatience se transformant en frustration. Tu as peut-être perdu ta femme, mais moi, c'est ma sœur et ma confidente que j'ai perdue ! conclue-t-elle la voix tremblante.
Je ferme les yeux, laissant m'échapper un soupir.
- Thalie, je comprends ta douleur plus que tu ne peux l'imaginer. Mais n'ai-je pas toujours veillé au bien-être de Rose ?
La jeune femme rougit, puis ses sourcils se froncent et ses poings se serrent.
Je comprends si bien le conflit qui l'habite. Une véritable bataille entre son désir ardent de revoir sa sœur et la compréhension subite des risques que cela comporte. Elle baisse les yeux, sûrement pour que je ne puisse pas distinguer ses larmes y briller.
- Écoute... Elle dort en ce moment. Pourrions-nous parler d'abord ? Ensuite, je t'accompagnerai la voir. Tu sais ce qu'implique la malédiction. Nous ne devons pas la brusquer. De plus, il ne faut pas qu'Eris découvre que nous avons retrouvé ta soeur. Il faut agir prudemment Thalie.
Les larmes redoublent sur ses joues, mais elle hoche la tête, me signalant qu'elle comprend les enjeux malgré son désir de retrouver sa sœur au plus vite.
- Très bien, dit-elle la voix chevrotante, enfin raisonnable.
Je prends alors sa main de la mienne et l'entraîne dans le jardin.
- Thalie... Prends le temps de bien regarder autour de nous. Sais-tu où nous nous trouvons ? Demandé-je tout en observant les alentours, le soleil matinale éveillant les couleurs et les arômes du jardin.
Un parfum de romarin flotte dans l'air. La bâtisse semble presque belle aujourd'hui. Des moineaux un peu plus loin sautillent sur les herbes folles du gazon.
- Dans un hôpital psychiatrique. Mais Euphrosyne n'est pas folle, répond-elle défiant toute la logique de cet endroit.
Je me tourne vers elle. Comment lui faire prendre pleinement conscience des conditions de vie ici ? De ce que cela implique de demeurer ici ? C'est alors que mon regard se pose sur la patiente numéro 47, assise sur le perron de l'institut. Par beaucoup d'aspects c'est celle qui ressemble le plus à Euphrosyne.
- Viens, dis-je à Thalie en me dirigeant vers 47.
Je l'entends me suivre jusqu'à la jeune femme, ses pas grinçant sur les cailloux. Pourtant, ma patiente ne réagit pas, trop absorbée par sa mélancolie.
Ce n'est qu'une fois à ses côtés qu'elle sursaute et lève son visage vers nous.
- Bonjour, comment allez-vous ce matin ? Tenté-je en esquissant un sourire que j'espère apaisant.
La jeune femme, l'air perdu, recule légèrement avant de reconnaitre mon visage. Elle met alors sa main en visière pour se protéger du soleil.
- Oh... Bonjour murmure-t-elle en cherchant ses mots. Ses yeux vagabonds ne parviennent pas à fixer un point précis. Elle semble chercher des réponses dans les méandres de son esprit embrouillé.
-Je réfléchis, murmure-t-elle enfin.
Je vois Thalie s'avancer et se pencher afin d'entendre les propos de la jeune fille.
- À des théorèmes de mathématiques, je suppose ? Dis-je, la faisant rougir.
- Oui Monsieur, répond-elle, son ton un peu plus confiant.
- Peux-tu te présenter à mon amie ? Elle est nouvelle ici.
Encouragé, son regard quitte le mien et plonge enfin dans celui de Thalie.
- Commence par lui dire comment tu t'appelles, proposé-je doucement.
Après une profonde respiration, elle se lance.
- Je suis... le numéro 47, dit-elle hésitante.
- Ne t'avions-nous donc pas choisi un prénom la semaine dernière ?
La jeune fille baisse alors la tête, honteuse. Je lui prends la main et lui sourit, lui faisant comprendre que cet oubli n'est pas dramatique. Un petit sourire éclaire son visage.
- Je m'appelle Hypatie, déclare-t-elle, son visage exprimant une pointe de fierté retrouvée.
- Ne l'oublie jamais, lui réponds-je avec bienveillance. Tu devrais rentrer, c'est bientôt l'heure des repas. Madame Marie risque de te punir si tu restes ici, il ne faut surtout pas la contrarier, après tout, elle tient cet établissement d'une main de fer.
Soudain ses yeux s'écarquillent et elle se relève subitement. Mais alors qu'elle pénètre d'un pas pressé dans l'institut, elle se tourne vers moi, angoissée.
- Monsieur... Comment va le numéro 52 ? On dit qu'elle a été punie sévèrement cette nuit...
- Elle se repose. Ne t'inquiète pas, je veille sur elle, elle sera vite rétablie, la rassuré-je.
Elle me sourit alors et son visage, cerné et émacié, s'illumine l'espace d'un instant.
- Merci d'être venu ici, dit-elle reconnaissante, avant de quitter le perron définitivement.
Je me tourne vers Thalie. Elle semble beaucoup plus pâle, inquiète.
- Ces gens... ils ne sont pas considérés comme des êtres humains... Hypathie... Est-elle vraiment celle de l'Histoire ? demande-t-elle.
- Oui, c'est bien elle. Elle a croisé ma route, il y a des siècles de cela. Du moins, si mes souvenirs sont bons. Mais le poids des ans et ce lieu lui ont fait disparaître toute son histoire et une grande partie de sa personnalité.
Thalie fronce les sourcils, perturbée et horrifiée d'imaginer sa sœur régresser et être traitée comme un être insignifiant.
- Je crains que cet endroit ne soit l'une des prisons d'Éris. Que tous les patients qui s'y trouvent aient eu le malheur de la contrarier, à un moment où un autre de leur existence. Je me trompe peut-être, mais tous ces patients... Il y a trop de coïncidences, tu comprends ? Trop de liens entre eux, la Grèce antique et les divinités. Je suis certain que la situation est plus complexe qu'on ne peut l'imaginer. Et nous allons devoir démêler tout ça avec prudence.
La bouche de la jeune muse s'arrondit en comprenant la situation.
- Et donc... Cela signifie que les employés sont à la solde d'Éris, n'est-ce pas ?
- Oui. C'est exact. C'est pourquoi nous allons t'introduire intelligemment. Nous ne devons pas agir sur un coup de tête. Tu comprends ?
- Oui, répond-elle le regard déterminé.
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La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...