Point de vue d'Apollon
Je suis enfin devant la bâtisse de l'institut Sainte Marguerite. La façade noircie et piquetée de mousse me donne l'impression d'un bâtiment ancien et peu entretenu. Le ciel gris rend l'atmosphère plus glauque encore. Cela me fait penser aux lieux désaffectés qu'aiment tant visiter les humains pour se divertir et ressentir de l'adrénaline. L'urbex qu'ils appellent ça.
Le parc quant à lui paraît laissé à l'abandon. Des mauvaises herbes s'épanouissent tant dans l'allée qu'à l'intérieur d'anciens massifs. Il n'y a même pas un banc pour s'asseoir. Un soupir m'échappe. Je déteste ce genre de lieu. Mais les informations trouvées dans les archives de l'hôpital précédent, me donnent beaucoup d'espoir. E.R.I.S. C'est le nom des recherches menées ici. Des recherches de quel type ? Ca je ne le sais pas encore. Quoi qu'il en soit, Eris ne s'est vraiment pas foulée pour le nom. En tout cas, j'ai appris beaucoup de choses intéressantes en lisant le dossier de manière approfondie. Il semblerait que tous les patients aient un lien avec la Grèce antique ou bien les dieux. En ce qui concerne les personnes citées dans le document, tout du moins. L'hybris est souvent décrite comme cause d'internement. Visiblement, déplaire à la déesse de la discorde vous envoie directement chez E.R.I.S. Et elle à choisi un endroit tout aussi charmant qu'elle.
Quelle décrépitude !
L'architecture abandonnée a le don d'éveiller en moi une répulsion presque instinctive. Chaque visite dans un hôpital vétuste pousse la même question sur le bout de mes lèvres – Est-ce ici que je la trouverai ? Pourtant la réponse n'a jamais été si proche. J'espère presque que celle-ci soit négative, qu'elle ne se trouve pas ici. Qu'elle n'y ait été que de passage. Car découvrir Rose en ces lieux me briserai le cœur. Quels traitements peuvent bien recevoir les patients ici ? La misère est bien trop présente, et à part un infirmier, je n'ai pour l'instant croisé aucun autre membre de l'équipe médicale.
Selon moi, deux scénarios peuvent expliquer un tel état de délabrement : soit le manque cruel de subventions conduits le directeur à choisir la prise en charge de ses patients au détriment de l'entretien de l'institution ; soit l'argent est détourné (et se perd dans les méandres de poches privées) et les bâtiments comme ses occupants dépérissent dans l'indifférence la plus totale.
Malheureusement, l'expérience m'a appris que c'est plutôt la deuxième option qui prévaut.
Un deuxième soupir m'échappe. Je ferme les yeux brièvement. L'odeur résineuse des pins environnants est rassérénante. Est-ce le jour de nos retrouvailles ? Je rouvre les yeux, déterminé.
Je déploie mes pouvoirs, scannant chaque personne présentes à l'intérieur de l'institut. Une énergie, plus brillante et plus chaude se distingue des autres faisant battre mon cœur plus fort. Mais je sais que je ne dois pas trop espérer. Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive. Certaines signatures vitales ressemblent beaucoup à celle de Rose. Pourtant, je n'arrive pas à étouffer mon optimisme. Aujourd'hui, je deviendrais psychiatre, comme tant de fois auparavant, pour découvrir si parmi les ombres hantant ces couloirs, se cache ma tendre Euphrosyne.
Marchant résolument vers le porche, je gravis une à une les cinq marches du perron et frappe à la lourde porte en bois. Une vielle femme avec un air pète-sec l'ouvre, et me conduit sans un mot, ni même un bonjour à mon salut, en direction du bureau du directeur. Le couloir s'étend dans une atmosphère lourde et répugnante. L'humidité semble suinter des murs. Des frissons me parcourent les bras. Une odeur âcre règne dans les lieux, qui sont très loin d'être propres. Les champignons se sont tellement développés sur le bas des murs qu'il m'est impossible de distinguer les motifs du papier peint. Le sol, qui devait être en marbre à l'origine, n'a visiblement pas été nettoyé depuis un bon moment à en juger par sa couleur répugnante qui ne laisse qu'entrapercevoir ses veines grisâtres.
Quel endroit immonde !
Je ne peux m'empêcher de penser que l'intérieur est encore pire que l'extérieur. L'inquiétude me submerge. Si Rosy réside vraiment ici, dans quel état vais-je la retrouver ? Vivre ici, dans ces conditions est inhumain. Mais n'est-ce pas ce que souhaite Éris ? Je serre les poings. Je ne peux m'empêcher de ressentir de la haine en pensant à tout ce qu'elle a fait. À nous. À notre famille. Au monde entier.
La vieille dame se retourne alors et hausse un sourcil d'un air circonspect. Je me rends compte que je me suis arrêté en plein milieu du couloir. Il faut que je me ressaisisse. Je reprends mon masque de psychiatre appliqué, et je la rejoins.
L'entrée s'ouvre sur un bureau qui, a ma grande surprise, contraste fortement avec le reste de l'établissement.
Luxueux, il paraît extrêmement confortable. Les radiateurs fonctionnent et diffusent une chaleur bien agréable. Le mobilier cossu laisse deviner un coût exorbitant. Une lampe Pipistrello imposante illumine la pièce dans laquelle se trouve un homme. Il est habillé d'un costume de marque, d'un violet voyant absolument horrible. Une montre Rolex au poignet, les cheveux gominés, il se tient derrière son imposant bureau d'acajou finement sculpté où est posé un ordinateur dernier cri.
— Vous êtes le nouveau psychiatre ? Je ne vous cache pas que votre arrivée était extrêmement attendue. Je suis Monsieur Tisis, le directeur de cet établissement, annonce-t-il sans préambule.
Son ton semble dépourvu d'amabilité. La politesse n'est visiblement pas l'un des points forts de cette institution.
— Oui, c'est exact, lui réponds-je. Mon cursus universitaire vient de s'achever, et la vacance de ce poste m'est apparue comme une opportunité à saisir. Votre secrétaire m'a informé au téléphone que la place n'était toujours pas pourvue. Me voici donc, réponds-je avec une voix doucereuse et un sourire faux.
— Je vous mets en garde. Nos résidents sont plutôt coriaces. Le travail n'est pas de tout repos. Vous semblez bien jeune... Êtes-vous sûr d'être prêt pour cet engagement ?
Sa voix, empreinte de doute, m'agace légèrement.
— Ne vous fiez pas à mon apparence. Mon expérience dépasse de loin ce que vous pourriez imaginer, répliquè-je, laissant filtrer mon irritation.
Un sourire fin effleure mes lèvres fugacement. Ce que ces mortels ne comprennent pas toujours, c'est qu'être un dieu, Apollon en plus, confère une expérience et une sagesse infiniment plus vastes que celles offertes par une immersion prolongée dans la condition humaine.
— Vraiment ? ricane-t-il. Je vois. Espérons alors que vous tiendrez plus d'une semaine alors, me dit-il d'un air sarcastique. Madame Marie, je vous en prie, faites donc visiter nos locaux à Monsieur...
— Apollon.
— À monsieur Apollon, donc, nos installations ainsi que sa chambre, qui je l'espère, sera à sa convenance.
Sans un mot de plus, il s'assoit, se saisit d'un journal et commence à le lire, oubliant complètement ma présence ainsi que celle de la fameuse madame Marie, signe que l'entretien est à présent terminé.

VOUS LISEZ
La malédiction d'Euphrosyne et Apollon [Romantasy]
RomanceSe mettre une déesse à dos, ce n'est jamais bon. Mais quand celle-ci se venge et fait disparaître toute la joie dans ce monde par simple caprice, alors, le pire est à venir. Sauf si je parviens à rompre ce mauvais sort. Car toute malédiction peut êt...